Difficile de critiquer Home, le documentaire écologiste de Yann Arthus-Bertrand, sans être influencé, en bien ou en mal, par tout le battage médiatique orchestré autour de sa diffusion.
Proposé simultanément et gratuitement (1) sur plusieurs supports audiovisuels, dans plus de 130 pays, le film a su attirer un large public et créer l’événement. Des projections en plein air ont été organisées dans plusieurs grandes villes partout sur la planète, des chaînes de télévision ont diffusé le documentaire dans une version courte, également accessible pendant dix jours sur youtube (2), dans quatre langues différentes. Et des milliers de DVD ont été mis en vente à prix coûtant (3). Rien qu’en France, le film a été vu en salles par plus de 100000 spectateurs en deux jours, pour une combinaison de 180 écrans. La projection parisienne en plein air sur le Champ-de-Mars a réuni 30000 personnes selon les organisateurs (et 25000 selon la Préfecture, suivant l’expression consacrée). Youtube a compté plus d’1000000 de visionnages le premier jour de diffusion. Enfin, France 2 a atteint un pic d’audience historique avec 8 à 9 millions de téléspectateurs.
Le documentaire de Yann Arthus-Bertrand a également provoqué de nombreux débats autour de l’écologie et de l’état de la planète, suscité les commentaires élogieux des puissants de ce monde, du Prince Charles à Nicolas Sarkozy, et s’est même offert le luxe d’une polémique politicienne, en étant accusé d’avoir boosté le score des partis écologistes aux récentes élections européennes.
Bref, il s’agit d’une œuvre qui évolue hors de la sphère culturelle où elle aurait dû être circonscrite et qui s’est transformée en véritable phénomène de société.
A l’origine de ce projet fou et ambitieux, il y a la concrétisation d’un autre projet fou et ambitieux, celui de photographier la planète sous un angle différent, depuis les nuages. Le beau livre qui en a été tiré, « La terre vue du ciel » (4), a rencontré un énorme succès en librairie (5) et conféré à Yann Arthus-Bertrand notoriété et liberté d’action accrue. Celui-ci en a profité pour s’investir dans une cause qui lui tient particulièrement à cœur, l’écologie.
Désireux de défendre ses convictions et de sensibiliser le plus grand nombre aux problèmes environnementaux, il a tout naturellement, si j’ose m’exprimer ainsi, eu l’idée de mettre son savoir-faire en matière de prises de vue aériennes et sa connaissance de la planète au service de ce documentaire/pamphlet destiné à faire réagir le public.
Dans le prolongement du film d’Al Gore, La vérité qui dérange, il expose les conséquences des dérives de l’activité humaine, de la surproduction et de l’épuisement des richesses naturelles. Modifications climatiques, zones géographiques sinistrées, biodiversité sacrifiée sur l’autel du profit… Le constat n’est pas nouveau, mais il est de plus en plus préoccupant, de plus en plus tragique. Les images sont là pour prouver l’étendue des dégâts.
Comme le souligne l’auteur, « il est trop tard pour être pessimiste ». Le climat est d’ores et déjà irrémédiablement perturbé par les émissions exponentielles de gaz à effet de serre, par les effets du déboisement et de la pollution maritime. Si, au cours des dix prochaines années, l’Homme ne change pas de manière radicale son comportement vis-à-vis des problèmes écologiques, de la gestion des ressources énergétiques et des rejets en CO2, les conséquences pourraient bien être désastreuses. Principal risque, la fonte du permafrost, qui libérerait une importante quantité de gaz à effet de serre et accentuerait encore davantage le dérèglement climatique. Avec pour conséquence majeure, à terme, la disparition pure et simple du genre humain…
Alors que le film d’Al Gore croulait un peu trop sous les statistiques et les démonstrations chiffrées, celui de Yann Arthus-Bertrand en est avare, préférant privilégier un message alarmiste et moralisateur assez basique, susceptible d’être facilement assimilé par le public. Certains s’en agaceront, d’autant que le texte est martelé par une voix-off au ton paternaliste horripilant, dans la version télévisée du moins (6). Mais le principal défaut que l’on peut faire au long-métrage d’Arthus-Bertrand, c’est qu’il ne propose aucune solution concrète pour redresser la barre. Tout juste évoque-t-il, dans les dernières séquences, quelques initiatives destinées à faire bouger les choses : le développement des énergies alternatives, notamment solaires et éoliennes, une répartition plus équitable des richesses pour éviter surproduction et gaspillage, l’arrêt des déforestations massives… Des pistes que le spectateur lambda, à son petit niveau, ne pourra pas suivre. Evidemment, rien ne l’empêche de faire de petits gestes simples pour défendre l’environnement, notamment au niveau de la gestion de l’eau, du tri des déchets ou des choix de consommation raisonnés… Mais pour ces questions-là, seule une véritable volonté politique, à l’échelle planétaire, pourrait sérieusement inverser la tendance.
C’est sans doute là que le film trouve sa véritable utilité. En choisissant de diffuser très massivement son film, à l’échelle internationale, Yann Arthus-Bertrand a souhaité toucher un large public, afin de sensibiliser aux problèmes de l’environnement ceux qui ne l’étaient pas – statistiquement, il devait bien y en avoir quelques-uns dans le lot… - et redonner un peu d’allant aux autres. Le cinéaste compte sur l’effet de vague provoqué par la projection de son film, sur la mobilisation populaire. Ceci devrait mettre un peu la pression sur les dirigeants des plus grandes puissances mondiales et les presser de trouver un accord concernant les politiques environnementales à mettre en œuvre pour sauver la planète…
Dans son intention comme dans son efficacité, Home est donc inattaquable. C’est un film simple qui a atteint sa cible et qui a, à son niveau, contribué à faire sensiblement évoluer les mentalités.
Niveau artistique, il n’y a pas grand-chose à dire non plus. Yann Arthus-Bertrand n’a pas son pareil pour réaliser ces images aériennes d’une beauté à couper le souffle. Tableaux d’une nature encore préservée, inviolée par l’homme, ou scènes symboliques d’une civilisation tentaculaire et de ses ravages, toutes les prises de vue constituent un véritable enchantement pour l’œil, surtout sur grand écran. D’un point de vue purement esthétique, c’est admirable.
Là encore, le seul (petit) bémol vient de la bande-son, les musiques choisies, un peu kitsch et/ou envahissantes, s’avérant parfois aussi lourdes que le commentaire. Mais cela n’empêche pas de se laisser porter par la poésie des images…
Tant sur le fond que sur la forme, Home est globalement une réussite, qu’il me faudrait applaudir sans réserve. Mais il y a quelque chose de gênant dans ce coup médiatique savamment orchestré. Un décalage entre la morale véhiculée par le documentaire et les moyens qu’il a fallu mettre en œuvre pour le réaliser et le diffuser à grande échelle.
Première énormité, qui ne semble avoir choqué personne, la diffusion du film sur le Champ de Mars, au pied d’une Tour Eiffel brillant de mille feux – et de 10000 ampoules consommant pas loin de 5000 kWh par jour…- avec des milliers d’individus piétinant les pelouses et y pique-niquant, abandonnant au passage quelques kilos de déchets et immondices…
Second couac, et pas des moindres, la façon de mettre en avant les généreux mécènes du film. A ma gauche, Luc Besson et sa société Europacorp. Le cinéaste a certes déjà prouvé, via ses films (Le grand bleu, Atlantis), son amour de la nature, principalement des fonds marins, mais est aussi responsable de la saga Taxi – des poursuites endiablées avec de grosses voitures polluantes, pas un modèle niveau écologie, et n’est pas spécialement connu pour son côté philanthrope… A ma droite, François-Henri Pinault, président de la puissante holding PPR. Que le milliardaire français ait la fibre écolo, pourquoi pas… Mais il aurait alors pu financer le projet discrètement, sur ses fonds propres, plutôt que d’utiliser le film comme une vitrine pour les différentes sociétés du groupe, citées dès le générique de début. Surtout que lesdites sociétés ne sont pas forcément des modèles en matière d’écologie et d’équité. Conforama ou la FNAC sont des temples de la société de consommation et participent indirectement au déboisement de la planète… Yves Saint-Laurent puise dans les ressources naturelles de la planète pour réaliser ses produits cosmétiques et est notamment un gros consommateur de matières premières dérivées de l’huile de palme, dont la production massive a des conséquences sur la biodiversité. Comme ses concurrents, certes. Mais eux n’ont pas l’audace de se faire de la publicité sur le dos d’un film qui critique justement les dérives de la société de consommation… Et je ne parle même pas des marques de luxe du groupe, en décalage total avec ces images de villages africains vivant dans le dénuement le plus total… Même si PPR annonce faire des efforts en matière de développement durable, son association à un tel brûlot écologiste apparaît donc comme hautement douteuse et discutable.
Enfin, dernier point, le matériel utilisé par Arthus-Bertrand pour ses prises de vue est lui aussi sujet à caution. Pour accoucher de ces deux heures de film, le cinéaste a enregistré plus de 500 heures de rushes. Plus de 500 heures passées dans un hélicoptère gros consommateur de kérosène et donc gros producteur de gaz à effet de serre… Même dilemme pour la caméra. Elle a été empruntée à l’armée, pourtant fustigée dans le film…
Evidemment, on ne saurait mettre en cause la sincérité de la démarche de Yann Arthus-Bertrand et sa volonté de défendre les valeurs écologistes, et après tout, la fin justifie pleinement les moyens. Mais cette duplicité brouille un peu l’image du film. Dommage…
Home est donc un film à la fois attachant, car utile et visuellement splendide, et agaçant, car un peu trop moraliste et pas toujours très adroit. Mais à l’heure qu’il est, vous vous serez probablement déjà fait votre propre opinion, puisqu’il est assez difficile d’échapper au phénomène… En tout cas, l’initiative mérite d’être saluée…
Note :
(1) : Yann Arthus-Bertrand et ses producteurs ont renoncé aux droits d’auteur et sa diffusion est donc libre. Cependant, certaines salles de cinéma font payer aux spectateurs une somme forfaitaire correspondant à des frais d’exploitation du film.
(2) : pour le visionner en français, cliquer ici
(3) : En vente exclusivement à la FNAC, contrat de sponsoring oblige…
(4) : « La terre vue du ciel » de Yann Arthus-Bertrand – ed. Editions de La Martinière
(5) : Plus de 3,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde jusqu’à présent…
(6) : Dans la version cinéma de 2h , c’est Jacques Gamblin qui lit le commentaire. Dans la version internet et télévisée, c’est Yann Arthus-Bertrand lui-même…