Dans le monde occidental, le choc en retour de de la décomposition imposée de la planète, du saccage planifié de toute indépendance matérielle et spirituelle à l'égard des rapports marchands, commence seulement à faire sentir ses effets. La crise économique, les tensions géopolitiques, du Moyen-Orient à l'Asie, le virus A/H1N1 et les « facteurs X » (1) à venir en apportent la nouvelle : le déclenchement d'une espèce de guerre-civile mondiale, sans front précis ni camps définis, se rapproche inexorablement. Ce qui prédomine partout, c'est le sentiment qu'il n'y aura pas de « sortie de crise » et qu'il n'y a plus que des calamités à attendre de l'effondrement de l'économie globalisée.
Cependant, mêlé à ces peurs et à cette demande de protection, existe aussi le désir à peine secret qu'à la fin il se passe quelque chose qui clarifie et simplifie une bonne fois, serait-ce dans la brutalité et dans le dénouement, ce monde incompréhensible, où l'avalanche des évènements, leur confusion inextricable, prend de vitesse toute réaction et même toute pensée. Dans l'idée d'une catastrophe enfin totale, d'une « grande implosion », se réfugie l'espoir qu'un évènement décisif, irrévocable, et qu'il n'y aurait qu'à attendre, nous fasse sortir de la décomposition de tout, de ses combinaisons imprévisibles, de ses effets omniprésents et insaisissables : que chacun soit contraint de se déterminer, de réinventer la vie à partir des nécessités premières, des besoins élémentaires ainsi venus au premier plan.
Attendre d'un seuil franchi dans la dégradation de la vie qu'il brise l'adhésion collective et la dépendance vis-à-vis de la domination en obligeant les hommes et l'autonomie, c'est méconnaître que pour simplement percevoir qu'un seuil a été franchi, sans même parler d'y voir une obligation de se libérer, il faudrait ne pas avoir été corrompu par tout ce qui a mené là ; c'est ne pas vouloir admettre que l'accoutumance aux conditions catastrophiques est un processus, commencé de longtemps, qui permet en quelque sorte de s'en accommoder vaille que vaille.
Les ruptures violentes de la routine qui continueront à se produire dans les mois à venir pousseront plutôt l'inconscience vers les protections disponibles, étatiques ou autres.
Non seulement on ne saurait espérer d'une « bonne catastrophe » qu'elle éclaire enfin les masses sur la réalité du monde dans lequel elles vivent, mais on a toute les raisons de redouter que, face aux calamités inouïes qui vont déferler, la panique ne renforce les identifications et les liens collectifs fondés sur la fausse-conscience. On voit d'ailleurs depuis quelques mois déjà comment ce besoin de protection ressuscite d'anciens modes de liens et d'appartenances, claniques, raciales, religieuses : les fantômes de toutes les aliénations du passé reviennent hanter la société mondialisée, qui se flattait de les avoir dépassées par l'universalisme marchand.
On ne peut raisonner sur le déraisonnable. L'attente d'une catastrophe, d'un auto-effondrement libérateur du système en place, n'est que le reflet inversé de celle qui compte sur ce même système pour « imposer positivement » la possibilité d'une émancipation : dans l'un et l'autre cas, on se dissimule le fait qu'on justement disparu, sous l'action du conditionnement général, les individus qui auraient pu faire usage de cette possibilité, ou de cette occasion. On s'épargne donc à soi-même l'effort d'en être un. Ceux qui veulent la liberté pour rien ne démontrent qu'une chose : ils ne la méritent pas.
mecanopolis.org/ / 07 Juin 2009 / Alterinfo