Trois années supplémentaires de terreur, de crimes, de viols, de guerre, pour en revenir à la situation antérieure. Les néoconservateurs ont donc réussi le tour de force de chasser les seules forces stabilisatrices dans le pays depuis quinze ans, enfantant ainsi un chaos renouvelé d’où ont jailli des djihadistes nihilistes bien plus extrémistes que les Tribunaux islamiques revenus entre temps au pouvoir faute de mieux ! On pensait que de tels incompétents imbéciles, de tels idéologues foireux n’existaient que dans les séries Z. Non. George W. Bush a bel et bien existé, et pour notre malheur, il faisait de la politique… Et Mogadiscio de prolonger son interminable agonie dans les affres de la guérilla, au milieu de ses rues éventrées, jonchées de gravats, de ses immeubles dévastés.
Broyée, la ville a perdu près d’un de ses deux millions d’habitants d’avant-guerre. Des dizaines de milliers de
morts. Des centaines de milliers de déplacés. Des pêcheurs affamés qui se reconvertissent dans la piraterie sanglante et dont les ombres terrorisent les navires au large du Golfe d’Aden. Les
combats qui font rage entre le gouvernement fédéral de transition (TFG) et les insurgés islamistes qui contrôlent la majeure partie de la capitale et du pays, ont tué plus de 300 personnes depuis
quinze jours, 17.000 depuis deux ans.
Il est impossible aujourd’hui de reconnaître dans ce décor post-apocalyptique la somptueuse « perle blanche » de l’Océan Indien. Mogadiscio. Le joyau architectural de la Corne de l’Afrique. La vieille ville, fondée au VIIIe siècle, constituait un témoignage unique de la complexité urbaine arabo-africaine, à l’extrémité septentrionale de l’aire culturelle swahilie. L’islam soufi y était tolérant et syncrétique, et côtoyait les cultes chrétiens. La plus belle ville d’Afrique ? Certains le pensaient. Mais c’est du passé.
Les merveilles d’art religieux chrétien et musulman qui ont échappé aux ravages de la guerre sont aujourd’hui anéantis avec méthode par les milices islamistes, au nom d’une pureté originelle mythique et fantasmée. Pierre par pierre, les anciennes mosquées sont démontées, ou dynamitées, les cimetières profanés, les tombeaux brisés. La somptueuse cathédrale catholique n’est plus qu’une carcasse pathétique au milieu d’un no man’s land de friches urbaines où quelques façades criblées d’impacts élancent encore leur silhouette vers le ciel, rappelant qu’autrefois, ici, étaient des rues, des commerces, des habitations.
Les larges avenues sont devenues des chaussées défoncées, recouvertes d’ordures et de sachets en plastique ; seuls reliefs de cette ville plate : les monticules d’immondices, dont les combattants se servent pour ériger des barricades putrides. Devant ce bourbier qui se transforme en cloaque à la moindre pluie, le vieux port est méconnaissable : les palais ravagés ne sont plus que l’ombre de leur splendeur passée, les digues de pierre ont sauté, mais les enfants s'amusent encore, malgré tout, dans des eaux stagnantes.
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