Au « Z'avez rien contre les jeunes ? » succéderait maintenant le « Z'avez rien contre la poésie ? » en Angleterre, mais probablement un peu partout dans le monde. Alors que l'on prend feu pour le poste de professeur de poésie d'Oxford, la poésie n'a pas le vent en poupe. Déjà que les jeunes lisent peu, on ne va pas en plus leur demander de lire des trucs qu'ils ne comprennent pas.
Et depuis Baudelaire, on sait que la poésie, en France en tout cas, a pris une étrange tournure, détachant le sens des mots, et malgré la verbeuse présence de Bobin et malgré les petites choses perlées de Hervé le Tellier, difficile de savoir ce que la poésie aujourd'hui compte d'adeptes.
La question serait moins de savoir si on la comprend - pourquoi comprendre d'ailleurs ? - que de se demander pourquoi une telle marginalisation, voire mieux : l'ostracisme de la poésie ? Car s'il est simple pour une personne ayant quelques lettres de réciter un ou deux vers à l'arraché, et de citer dans le meilleur des cas René Char, on assiste plus souvent à un tissu de platitudes débinées et débitées.
Dans le livre de Muriel Rukeyser, The life of Poetry, on découvre cette séquence : un bateau grouillant de républicains quitte l'Espagne, de nuit, alors que la guerre civile s'intensifie. Le bombardement sur Guernica a lieu. Les gens parlent de l'horreur qu'ils ont vue, celles à venir. Puis dans l'obscurité, une voix retentit : « Et la poésie, dans tout cela, où est sa place ? »
Parlant de poésie « on assiste plus souvent à
un tissu de platitudes débinées et débitées »
Car les obstacles auxquels se heurte la poésie sont redoutables : émotion, embarras, névrose, froideur, mépris, élitisme... dans une société technocratique, les expressions sont utilitaristes et les compétences celles de spécialistes. L'imaginaire impliqué dans la fonction poétique est progressivement dégagé de notre vie : finalement, elle n'a presque plus sa place.
Hormis les spécialistes et les férus, qui peut croire que la poésie pourra encore trouver sa place dans notre société ? Qui pourra affirmer encore la puissance de cette écriture ? Pour Muriel, la poésie ne se sauvera pas seule, mais cette création unique garde toute sa sensibilité et son expression.