L’aventure Art Rock 2009 débute. Seul dans un train qui suce la plénitude, le soleil vient vomir sa dépression sur mon facies mate de peau. Terminus, je descends.
Barry White m’accueille de sa voix ténébreuse sur le quai. Me retourne. Son corps me parait disproportionné. Une arme de destruction massive, mi-humain mi-taureau. Je baisse les yeux et retrouve mon photographe tapi derrière le monstre. Apeuré, son salut douteux me rassure. La bise virile, nous voilà partis. Nous sommes là, nicotine en poitrine, bières en main et regards déviants. L’approche blafarde d’une rencontre putracière et romantique. Mon photographe me harcèle et me demande d’avaler sans un battement de cil le saumon brunâtre et poussiéreux qu’il me tend. Mon ventre vide ne peut résister à l’idée d’avaler le poiscaille dépecé. Il dégurgite dans ma bouche. Me voilà rassasié, prêt à débuter les hostilités: Art Rock 2009, me voila.
Jour un. Introduction foirée. Divagations et insomnies.
J’aime le coté mièvre de cette génération décadente qui n’attend que la confirmation de talents inexistants.
Premier groupe sur une scène vidée. Get well soon. Un putain de berlinois hypeux qui tricote la musique classique pour en faire une bouillie sonore populaire et accessible. Finalement pas si mal. La chanteuse de poche à droite me regarde dans le blanc des yeux tandis que le soleil brûle ma rétine. Une première bonne surprise. Ma flasque, collée à ma verge, commence à m’irriter. Non de non. Ricard régale. La même qu’aux Transmusicales. OB décalé, journalistes bourrés et complètements déglingués. Des discussions s’emballent sous l’effet narcotique de l’anis. Inintéressantes au possible. Je m’emmerde. Fume. Chope un Ricard. Et enchaine, titubant comme un crevard. Cold war kids. Avant toute chose, je me dois de vous parler d’un groupe particulier. La musique marque des moments de vie plus ou moins difficiles à supporter, des saisons, des festivités conventionnelles, des nuits mémorables. Le groupe d’Art Rock 2009 n’est ni en queue de programmation ni à poil dans nos contrées verdoyantes. Il est esseulé parmi les ombres, tournant en boucle sur mon micro ordinateur de fortune. Il rythmera ma première insomnie courbaturée. The Clean, vieux groupe pas très net néo-zélandais va harceler, encore et encore mes soirées douteuses de morosité qui s’annoncent. The Clean, Art Rock, synonyme à jamais. Nous pouvons désormais revenir à nos Cold war kids. Car le lien est finalement trouvé et le parallèle plutôt cruel. Les vieux enfants s’entêtent inlassablement à vomir un pop rock conventionnel pour récolter les lauriers de minettes mouillées jusqu’aux pieds. Les Kooks suivent mais vous n’aurez pas le privilège d’un compte-rendu pimenté à feu et à sang, j’étais au bar. Par pur hasard hein. Cold war kids, simple retour à la réalité. Des enflammages médiatiques à gogo et à l’arrivée, déceptions sur déceptions. Un manque flagrant d’inventivité et des groupes que l’on décline à l’infini. Vraiment pas bon. J’attends, dans le style, beaucoup plus de Bloc Party. C'est dans deux jours.
La suite est rébarbative. Alpha blondy et son « peace&love » un peu cucul. Pas vraiment de surprise. Faut dire que le reggae, sans doute à tort, me donne la chiasse et ces discours pseudos sincères « la guerre c’est nul, copulez, achetez bio et gardez votre prépuce », encore plus. Quelle surprise de retrouver Birdy Nam Nam... Art Rock pilleur de l’éternel face à son voisin rennais, les Transmusicales ? Sans nul doute, pas moins de neuf groupes sucés à Brossard (Directeur de la programmation des Trans). A la tirette, le pire. Popopopops et Ebony Bones. Et le meilleur. Sammy Decoster et Gablé. Je suis donc en droit de me poser des questions. Car je n’arrête pas, d’en poser des questions. A quoi sert ce putain de festival hein? Moi je demande juste. Mais la réponse ne peut encore être livrée. Il reste deux jours. Encore.
Jour deux. Interracial. Disneyland. Suicide.
Le retour est brutal. La tête à l’envers, à moitié habillé et le regard vitreux. Et pourtant, le soleil s’élève dès sept heures du matin. Quoi de mieux pour une ballade matinale, croissants sous le bras, café noir et brûlant dans l’autre. Il m’arrive encore de m’impressionner. Bon ok, dix minutes après, mon corps faiblard s’affale dans un lit qui transpire foutre et testostérone. Bordel, il faut me voir ce matin. Pianotant comme un nerveux psychotique, la main qui tremble sur des touches qui rapetissent au fur et à mesure des minutes passées devant l’écran. Comme tout bon professionnel, je décide rigoureusement de préparer ma journée. Etablir un programme à tranches horaires. La classe quand même.
Nota bene, ce programme n’est jamais respecté et c’est ce qui le rend diablement attrayant.
A peine le temps de s’évanouir d’une nuit écourtée, que dès quinze heures, la garderie briochine fait porte ouverte. Gratos, les Coming Soon débarquent dans le forum de la Passerelle. Emos arborant fièrement leurs devantures souillées par le cœur encore transpirant de Green Day, les surchemises pleuvent, les pantacourts se succèdent. Franchement, il faudra un jour m’expliquer l’intérêt débile de cette invention qui l’est tout autant. Bordel, soit tu te fous en short cuirassé bien moulant, soit en fût à lanières. Pas cette espèce de bâtard à mi-mollet. Je divague. Me reprend et me surprend à ne pas détester. Mais petit à petit, l’angoisse pédophile de gamins qui hurlent sur du xylophone et balancent des « je t’aime » à un batteur de treize ans commence doucement à m’emmerder. Du easy listening à la pelle, mélange de folk, country et sonorités afro-caribéennes. La magie pute de Mickey, c’est fini pour moi. Il est temps de rentrer à notre appartement, plein centre ville et cradassé par trois potes depuis maintenant deux ans. Les cadavres de bouteilles s’entassent esthétiquement et les apéros suivent les shots. Ou bien l’inverse, je ne sais plus. Après tout, le résultat est le même. Je serai direct. Rien d’intéressant en scène principale aujourd’hui, je l’ai donc zappé allégrement. Ah non, un léger détour pour saluer les videurs du festival, devenus potes de biture en l’espace d’une soirée. Toujours respecter et saluer les hommes de pouvoirs. Toujours. Karl, voilà le passage que je t’avais promis.
Je repars à nouveau au Forum de la Passerelle, dans un théâtre splendide à sièges douillets. Saburo Teshigawara danse pour moi. Un chinois mâle l’accompagne. Il danse lui aussi. Les formes s’emmêlent, se floutent et se perdent. Suicide hurle. Et Saburo, elle, se mue en une étoile de neige, blanche et transparente. Mais mon alcoolémie déviant m’oblige à sortir de salle. Le vomi commence à baver. Plus que trois secondes. Je bouscule une petite fille en bleu. Plus que deux secondes. Pousse la porte l’air hautain. Plus qu’une seconde. Enfin dehors, l’air naturel et son vent de liberté. Reprends mon souffle. Toute sortie est définitive.
Jour trois. Intérieur pourri. Réveil terrifiant.
Le réveil à nouveau délicat ressemble à une partie de jambes en l’air de trisomiques amochés. La chambre se remplit peu à peu de minettes cramées du bulbe. Sans grand intérêt à part regarder des jambes sans fins, moulées de collants fluos. Je réveille mon photographe. Sa minette à lui est répugnante. Ma musique fait trembler les murs. Ils n’arrivent pas à s’endormir. Il est neuf heures. Une raison certes toute naturelle pour me haïr. Mais elle me regarde d’un dédain qui m’agace. Je ne serai pas agressif mais respectueux, oui monsieur. Quitte la chambre et augmente le volume…Quelle musique ? Toujours The Clean, satisfaisant pour un réveil réussi, sans café ni croissants cette fois-ci. Bordel, il est dix heures. Et je suis seul dans un salon marqué par la nuit. Que faire dans un trou paumé à cette heure-ci. De la merde sans nul doute. Je m’affale dans le canapé et déguste la cigarette du fond de poche, mouillée par le whisky qui transpire la syphilis. Je me fais chier, moi l’insomniaque désabusé, élitiste et putassier. Il est grand temps de résumer cette soirée épileptique.
Jour trois (encore). Anti tout. Trois pièces. Harcèlement et trous noirs.
Raté aux Transmusicales l’année dernière, Gablé s’avance là ou les Coming Soon ont chuté. Même salle, même orientation. Le folk s’apparente souvent à une simplicité minimale que les hipsters appellent « anti-folk ». En tête de gondole, les Moldy Peaches. Je caserai Gablé dans cette classe naturelle. Petit bijou teinté d’ironie, une noirceur d’âme transcrite dans son écrin de bronze. Faussement mignons, les normands ont assouvi, l’histoire d’un instant, ma dépendance au bon gout. Et m’ont rendu, enfin, ma gueule des beaux jours. Oh ouais, que je suis heureux de découvrir des barbus bourrés de talents et révélation unanime du jour.
Je reviendrai sur l’état d’esprit général du festival plus tard. Mais parenthèse tout de même, les gens sont gentils. Vraiment gentils. Ils sourient et fêtent comme il se doit cette grande réunion populaire qui rassemble toute une ville en ébullition, privée le reste des 362 jours d’accès culturels. Et ça fait plaisir à voir.
Trou noir.
Quelques heures après – ma mémoire flanche – je me retrouve dans cette même salle. Une brune. Une rousse. Et ma blonde de photographe qui n’arrête pas de harceler la population locale pour choper sa part de nicotine. Nous sommes réunis pour (re)découvrir Sucess et son chanteur fantasque, taillé dans un costume trois pièces qui me laisse rêveur. Et sachez que mes gouts vestimentaires sont de haute volée, je vous laisse imaginer la qualité du tissu. Je peux toucher ? Trop fatigué pour danser, je m’assoie pour ne pas tomber. Récolte les lauriers d’un escalier blanc de bière. Et me laisse divaguer avec Success, son rock-funk-dance-cheap, et l’énergie solaire du chanteur, ultra charismatique, envahisseur d’espace et destructeur du Chiant. Celui qui marque tout de même, la plupart des concerts depuis deux jours.
Trou noir deux. Fin de soirée.
Jour quatre Dance. Vodka. Buisson. Terrain vague.
A peine dix-huit heures qu’il faut déjà déguerpir. Franc du collier, la motivation au top, je me retrouve devant la laideur de l’association maladive, chapeau melon et tête d’anglais. Maxïmo Park m’a l’air tout excité, un chenapan innarêtable sous acide bon marché. Comme d’habitude, le clavier est salvateur de mélodies sans intérêts. Il jongle agréablement dans un mineur sonore efficace. La preuve, non pas par le public hypnotisé par l’effet de masse et son effet annonciateur brutal du gout de chiotte, mais par mes pieds, qui battent le rythme et ma tête qui se dandine. Pas très excitant, juste dansant. Et dans ce bourbier, autant se satisfaire du minimum, abaisser son niveau de tolérance et apprécier au moins d’être là à participer de manière associative à l’ouverture musicale, certes bancale, mais sincère d’une ville qui se formate dans une acculture angoissante. Et dans cette optique, ça passe plus vite.
Anaïs = daube française pas marrante, inécoutable et qui meurt dans son propre cliché. En plus, son physique ingrat ne me donne en aucun cas l’envie de bouger mon cul, encrouté dans des orties hargneuses, au milieu d’une horde de femmes, de la vodka premier prix et des regards mielleux. Next.
Chacun de mes propos sont excessifs. Et cela va de soit, ma horde ressemble davantage à une meute claudicante qu’à un harem de suédoises.
Les deux têtes d’affiches s’enquillent l’une après l’autre. La dance pop des Ting Tings me ravie. Les basses saignent plus vite que mes tympans et je me surprends à sauter dans tous les sens, petit foufou que je suis. Mais juste vingt minutes, car ma personnalité qui prône le « lunatisme » comme mode de pensée ne peut se permettre de valider plus longtemps cette énergie provocatrice. Et puis, une fois les deux singles avalés, le reste fait bien pâle figure. Un manque d’homogénéité criante qui vient là tuer dans l’œuf mon excitation grandissante. Courage Ig, un dernier concert. Bloc Party. Ma petitesse est un avantage de taille. C’est rapidement que mon corps vient s’empaler sur la barrière de protection du devant de scène. Qu’elle a-t-elle cette barrière ? Les jeunes femmes qui m’entourent semblent y attacher une importance capitale. S’y accrochent d’une force qu’elle semble se décomposer sous mes yeux. Ma place fait des envieux. Mes coudes comme défense, personne n’ose m’approcher. Ok, ce n’est pas la fosse de Megadeth et les gamines ne portent pas de cotte de mailles. Mais, planter dans le sol, ma position semble marquée. Ils arrivent sur scène, décontractés, sous les acclamations du public. Leur rock est d’une intensité bien inférieure au Ting Tings, plus prompt à l’enflammage collectif. Mais pourquoi pas. Un son très londonien, un peu dépassé et qui s’affère à influer un minimum de profondeur dans des sonorités ultra-supra produites. Chaque titre s’enchaine comme un métronome hypnotique, qui semble doucement endormir un public au bout du pont. L’excitation pré-concert semble ainsi se dissoudre entre bâillements et rots disgracieux odeurs malt. Dans un style comparable au Dirty Pretty Things du premier album, les anglais s’épuisent dans un conformisme qui ne serait les caractériser. Mais c’est bel et un bien un concert qui s’essouffle et annonce comme libération le gong final. Quelques minutes après leur départ, un terrain vague décimé par des gobelets vidés et retournés par les festivaliers s’offre à moi. Les déchets jonchent mes pas et je suis désormais seul au milieu du vide, l’air mélancolique, le regard droit et enfin, la réponse à toutes mes questions.
Fin de soirée, fin de festival. Terminus et Réponses.
Que retenir de ces trois jours ? Musicalement au rabais, esthétiquement mauvais. La programmation ne laissait que très peu d’espoir. Un espoir envolé, à vous réalité. Quelques bonnes surprises me reviennent ainsi en tête, la mine défaite sur le bord du quai. Le mazoute vient détruire le peu de crustacés sur la plage abandonnée, et la vérité est dure à accepter. Mais Art Rock se voit balayer par une concurrence bretonne pointue et bien plus mélomane. Transmusicales et Route du rock pour ne parler que d’eux. Les vieilles charrues, eux, sont d’un tout autre univers, économiquement parlant. Mais ce phénomène de pompe incessant, cette faculté à tirer vers le bas m’ennuie profondément. Mais alors pourquoi Art Rock ne doit-il pas crever ? Car humainement, c'est un festival passionnant. Une ville en fête, un accès culturel unique et une ambiance conviviale rare. La gentillesse du personnel, des commerçants, de la population locale réchauffe un cœur de glace, élitiste et branleur. Certes parfois pesé par ce mauvais gout apparent, mais heureux de participer à cette manifestation intime. Cela suffira-t-il à vous convaincre ? A cette question, je n’ai pas la réponse. Mais dans le train de retour, mes lignes s’achèvent sur un succès. Celui de la simplicité retrouvée.
Photos: Warren Pavlic