« Depuis que les Jacques Martin et autre Guy Lux reposent maintenant six pieds sous terre, y a plus beaucoup de strapontins pour les hommes de moins d’un mètre soixante dix ».
En me réveillant avant-hier vers sept heures moins vingt, c’est ce que je me suis dit en voyant la gueule du sosie de Lux Interior sur France 2, la gueule enfarinée style plus blanc que blanc et la chemise un peu crasspouille genre j’ai baisé ma secrétaire vers 4H du matin. Fébrile comme un roc, William Leymergie avait quand même l’air plus réveillé que ma femme (elle se lève toujours vers 11H, depuis qu’elle touche la pension d’invalidité, impossible de la lever avant Motus), inébranlable, là depuis presque toujours, droit comme la justice, sec comme un coup de trique. Sacré William.
Le caleçon encore sur les genoux, j’ai soudain repensé à tout ce fleuron français qu’on était en train de perdre peu à peu, comme un cœur qui s’arrêtait progressivement de battre, du pain en train de moisir, une femme en ménopause. Foi de Guy-Michel, ca m’a fait comme un choc de comprendre qu’il restait que Leymergie comme témoin du 20ième siècle. Débuts à l’ORTF (ma jeunesse) en 1970, chanteur du générique de PacMan, chevalier de l'ordre des arts et des lettres depuis que le balais à cuvette l’a ordonné en février 2008, Leymergie c’est un peu le granit de la France qui s’effrite. Et j’ai bien vu qu’il avait la bouche un pâteuse le William, à accrocher sur les R d’immigration et insécurité, ca m’a pas empêché d’aller me brosser les dents… Parce que Leymergie et moi, on avait au moins ça en commun qu’on n’était pas vraiment du matin.Pour autant faut pas croire que Guy-Michel se lève tôt pour travailler plus, mais à Enghien-les-Bains c’est pétri de moustiques, même en hiver. Alors quand William envoie chier le premier chroniqueur, vers 7H15 (« Nan mais Gilbert, vous êtes sûr que l’invention du deltaplane c’est pas en 1896 ? Allez tout de suite on rejoint Maryse pour l’invention du pneu»), je suis déjà aux aguets devant mon poste, pour voir le vieux producteur de sa vieille émission, seul sur son vieux plateau dans son vieux costard. De l’autre coté, mon fils Brandon lutte pour la télécommande, vers 08H00, pour mater les coussins péteurs de l’émission de Canal Plus. Je résiste encore assez bien, et plutôt durement même (8H c’est l’heure du flash info de Télématin) alors Paf ! Deux baffes dans ta gueule que je lui fais, « tu changeras de chaine quand t’auras un chez toi, ptit branleur ». Je vous assure qu’il en mène pas large avec ses tatouages d’apprenti-rockeur. Guy-Michel au sommet, un enfant humilié, Bobonne dort encore, Enghien se réveille.. Tout va bien, merci William.
C’est un détail, mais Telematin régit ma vie, maintenant que Les enfants du rock et le Top 50 ont fermé boutique, que Carlos est mort, que Michel Sardou ne chante plus Le temps des colonies.
Question d’époque, je comprends de moins en moins le monde qui m’entoure. Lorsque l’autre gourdasse de Laura du Web se fait bouler par le vioc, vers 8H15, Guy-Michel a comme un orgasme (le dernier remonte à janvier 1991, je me souviens très bien Chevènement venait de quitter le gouvernement mitterrandien et j’avais joui sur bobonne et ses dessous en lycra de chez La Redoute), et c’est comme une revanche des grabataires qui comprennent rien au clic sur les nouvelles générations. C’est d'ailleurs mon moment préféré chez William, quand il résiste à la modernité. Ca nous fait deux points communs, maintenant que j’y pense. Paraît même qu’il a quelques soucis avec son équipe, une histoire d’empoignade derrière le carton-pâte avec un de ses branleurs de journalistes. Leymergie plus fort que Joey Starr ? J’y crois dur comme fer. Plus fort que le Live de Johnny au palais des sports en 71, c’est pour vous dire. Willie a bien raison de faire taire ceux qui croirent surement tout savoir, ces petits bloggeurs qui parlent en « je » et se lustrent la coquillette sur des morts qu’ils n'ont pas connu.
Tous les ans, à la même époque, un jeune emmanché nommé Thierry Becarro reprend Telematin pour que William puisse un peu se reposer, préparer sa rentrée et les insultes qu’il balancera à son équipe. Depuis cinq ans, ma femme et moi, on accorde nos calendriers sur ceux de William, on part à la Baule quand lui s’exile quelques semaines. Je sais bien que ce papier parle pas trop de musique, que c’est pas ici que je vous raconterai comment j’ai failli jouer avec Captain Beefheart à Mulhouse en 1967, mais Leymergie c’est tout ce qui me reste depuis que j’ai raté tous les autres wagons.
Le jour où il crèvera, il rejoindra surement Zitrone, Mourousi, Jean Moulin et Trénet dans le carré magique des français qui ont sauvé la partie. J’espère bien être au premier rang, j'ai reçu un numérique pour la fête des pères.