LIBAN : Une victoire sans appel pour le 14 Mars

Publié le 08 juin 2009 par Drzz

D´Elie Fayad ( L´Orient le Jour )
Au terme d'une journée à tous points de vue historique, l'alliance du 14 Mars a remporté hier une victoire sans appel sur ses adversaires du 8 Mars et du CPL, et était assurée, aux côtés des indépendants, de détenir une majorité d'au moins 69 sièges dans la prochaine législature.

Avant même que les urnes ne soient dépouillées et les résultats connus, une première victoire pouvait déjà être célébrée : celle de la démocratie au Liban. En dépit de toutes les difficultés, le pari fait par les pouvoirs publics, par le président de la République, Michel Sleiman, et le ministre de l'Intérieur, Ziyad Baroud, a été tenu.
 Nous avons vaincu la peur de l'organisation des élections en un seul jour », a lancé M. Baroud au terme des opérations de vote. Il a certes reconnu les lenteurs, voire parfois la désorganisation momentanée qu'ont connues certains bureaux de vote face à l'affluence record des électeurs, mais il a relevé qu'à l'évidence, et de façon globale, le test pouvait être considéré comme « réussi ».
Deux heures à peine après l'annonce officieuse de la victoire du 14 Mars, une image est venue illustrer l'ampleur de l'événement et, peut-être, marquer l'air du temps nouveau : l'allocution de victoire de Saad Hariri retransmise en direct sur la chaîne al-Manar. Du côté du CPL, l'heure était aussi à la reconnaissance de la défaite. On est loin des remises en question de 2005.
Tard dans la nuit, le suspense ne continuait que dans une seule circonscription, l'éternel Metn, dont le CPL s'attribuait tous les sièges, pendant que les Kataëb annonçaient la percée de deux candidats de la liste adverse, Michel Murr et Samy Gemayel. Si cette double percée devait se confirmer, elle serait la seule de tout le scrutin, ce qui démontre l'extrême polarisation politique de l'électorat autour des deux camps en présence au détriment du vote personnel.
Comme l'a souligné un commentateur sur l'un des innombrables talk-shows télévisés qui ont meublé la soirée électorale sur l'ensemble des chaînes libanaises, c'est le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir, qui avait, par ses positions critiques à l'égard de l'alliance quadripartite, favorisé dans une large mesure la victoire du général Michel Aoun dans les circonscriptions chrétiennes en 2005, et c'est encore le patriarche Sfeir qui a cette fois-ci donné le ton en inversant la tendance.
La participation a enregistré un taux record de 54,08 % sur l'ensemble du territoire à l'heure officielle de fermeture des bureaux de vote, à 19h00. En comparaison, le taux de participation aux législatives de 2005, lui-même pourtant supérieur aux précédentes consultations, était de 45,80 %.
Cependant, ce taux moyen de 52,35 % cache de très importantes disparités d'une région à l'autre. Les régions chrétiennes, où les bureaux de vote étaient désertés par de nombreux électeurs il n'y a pas si longtemps encore, ont enregistré des records d'affluence historique. Cela s'explique naturellement par le fait que les principales batailles électorales se déroulaient dans ces régions.
Cette tendance s'est traduite par l'importante hausse du taux de vote au Mont-Liban qui, avec une moyenne de 61,50  %, prend la tête de tous les mohafazats. Au niveau des cazas, c'est le très symbolique Kesrouan qui se hisse au sommet du pourcentage des votants, avec 70 % des inscrits qui se sont rendus aux urnes, du jamais-vu dans toute l'histoire des consultations électorales.
À Achrafieh, où le taux de participation a atteint 44 % des inscrits, ce qui constitue également un record pour une région habituée à bouder les urnes, la soirée avait plutôt mal commencé pour le 14 Mars avec des rumeurs sur une mobilisation massive des électeurs du Tachnag en faveur de la liste de l'opposition. Les informations les plus fantaisistes circulaient sur le nombre des partisans du principal parti arménien, qui seraient venus de l'étranger pour participer au vote. Le chiffre de 5 000 a été un moment avancé. Mais, à mesure que la soirée avançait, ce chiffre était revu drastiquement à la baisse, et l'avance - confortable - de la liste du 14 Mars se confirmait.
Même le candidat de la majorité au siège maronite dans cette circonscription, Nadim Gemayel, que l'on considérait comme étant le maillon faible de la liste, a pris largement le dessus sur son adversaire, Massoud Achkar, dont on connaît pourtant le capital de sympathie auprès des électeurs d'Achrafieh, de Rmeil et de Saïfi.
De fait, la leçon à tirer du scrutin de Beyrouth I, c'est l'extrême politisation de la compétition, le différentiel de voix entre les cinq candidats de chacune des deux listes en présence étant minime.
Le CPL ne cachait pas son ambition de conquérir Achrafieh lorsque ce quartier s'est émancipé de la tutelle électorale sunnite. Mais cette ambition s'est heurtée à un cinglant désaveu des électeurs de la circonscription, un désaveu dont l'ampleur torpille l'un des arguments majeurs de l'état-major et de l'électorat aounistes depuis 2005, à savoir que le CPL et ses alliés chrétiens sont toujours gagnants en terre chrétienne.
Chute de Gebran Bassil, ascension d'Alain Aoun
Les résultats au Batroun et dans le Koura, où le 14 Mars a également fait le grand chelem, sont venus confirmer ce désaveu. Dans la première de ces deux circonscriptions, la défaite du ministre des Télécoms, Gebran Bassil, tenant de la ligne dure au sein du CPL, est d'autant plus chargée de signification que l'autre parent du général, Alain Aoun, chef de file de la tendance modérée, est, lui, vainqueur à Baabda. Or ces quatre dernières années, il était de notoriété publique que le gendre avait l'oreille de Michel Aoun, aux dépens du neveu. Une révision de la ligne politique du CPL n'est donc pas à écarter.
Cependant, les victoires du Courant aouniste à Jbeil et à Baabda, dans ce qu'elles doivent au poids et à la mobilisation maximale de l'électorat chiite, confirment a contrario l'ampleur du recul de la popularité du général chez les électeurs chrétiens.
À Jbeil, il semblerait que le nombre des votants chiites ait dépassé les dix mille, c'est-à-dire plus que le double du chiffre de 2005, sous l'effet d'une mobilisation massive exercée par le Hezbollah. Or selon les résultats donnés en fin de soirée, il paraissait clair que sans ce vote chiite, les trois candidats de la liste du CPL auraient été battus, le vote chrétien étant allé majoritairement au secrétaire général du 14 Mars, Farès Souhaid, et aux deux candidats indépendants.
Il était difficile de savoir si le même phénomène s'était produit à Baabda. Ce qui est néanmoins clair, c'est qu'en dépit de la victoire de l'alliance CPL-Hezbollah, cette circonscription à majorité chrétienne a cessé d'être le fief intouchable du général Aoun, le vote chrétien en sa faveur ayant fortement reculé par rapport à 2005.
Il en est de même au Kesrouan où le CPL conserve ses positions, mais en cédant des milliers de voix à ses adversaires.
Mais, sur le plan national, c'est bien sûr la bataille de Zahlé qui a été l'une des plus importantes pour assurer la victoire du 14 Mars, lequel a emporté les sept sièges de la circonscription, alors qu'il n'en détenait qu'un seul depuis 2005. Là, le vote sunnite a été absolument déterminant pour Nicolas Fattouche et ses colistiers. La bataille se solde par la chute de l'héritier du leadership traditionnel de Zahlé, Élie Skaff.
À Jezzine, le CPL a remporté haut la main son duel contre le président de la Chambre, Nabih Berry. Mais là aussi, il sera intéressant, dès les prochains jours, d'examiner de près l'orientation prise par le vote chiite et, par voie de conséquence, de savoir dans quel sens le Hezbollah a arbitré la compétition.
Enfin, les circonscriptions de Zghorta et de Bécharré sont demeurées fidèles à elles-mêmes, la première accordant ses trois sièges à Sleimane Frangié et ses colistiers, et la seconde renouvelant son allégeance totale aux Forces libanaises.
Dans les régions à dominantes sunnite et chiite, le scrutin n'a enregistré aucune surprise, comme prévu. Le chef du Courant du futur, Saad Hariri, n'a à aucun moment été menacé à Beyrouth III, pendant qu'à Tripoli, l'alliance Hariri-Safadi-Mikati raflait la mise, laissant les adversaires loin derrière.
À Saïda, Fouad Siniora a parfaitement réussi sa sortie du Grand Sérail, s'imposant sans souci avec sa colistière Bahia Hariri face au sortant Oussama Saad. Ailleurs au Liban-Sud, ainsi qu'à Baalbeck-Hermel, le Hezbollah mène le jeu sans rival, mais il faudra comparer dans les prochains jours ses résultats à ceux de 2005. Il en est de même pour le Courant du futur au Akkar, à Minié-Denniyé et dans la circonscription de la Békaa-Ouest-Rachaya.
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