Le débat sur le Grand-Paris s’accélère, au point de presque réussir à franchir le pas qui sépare débat de spécialistes de sujet grand-public. Cette semaine a particulièrement été riche en prises de positions et rebondissements. Samedi dernier, un débat à la Fête de l’Humanité avec entre autres deux adjoints du maire de Paris, Pierre Mansat, Anne Hidalgo et la vice-président de la région Ile-de-France, Mireille Ferri. Lundi, le président de la République, Nicolas Sarkozy, profitait de l’inauguration de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine pour relancer une pique sur le Grand-Paris. Mardi, Jean-Paul Huchon, président de la région Ile de France annonçait son ralliement à l’idée d’un Grand-Paris. De son côté, Pierre Mutz, le préfet de la région transmettait mercredi au même Jean-Paul Huchon un avis défavorable de l’Etat sur le projet de révision du SDRIF, le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France. Jeudi, à l’ l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Val de Seine, une première conférence sur Le paris de l’agglomération parisienne, avec l’architecte Paul Chemetov et le géographe Guy Burgel pour lui répondre, et vendredi l’architecte Yves Lion continuait sur le même thème. Samedi relâche, ou ça m’a échappé. Et pour finir Bertrand Delanoë, le maire de Paris, répond dans le JDD à Nicolas Sarkozy sur le Grand-Paris. Pas encore grand public, le grand Paris, mais presque.
Pas encore grand public, mais déjà un débat tellement plus politicien que politique. Et par dessus tout, un débat confus à souhait, confusion attisée par certains, avec en prime un calendrier a priori défavorable, la campagne des municipales et cantonales. Du coup, il serait-il peut-être utile de séparer les débats, car en fait, il y a trois débats distincts qui s’entremêlent, sans parler des (en)jeux politiques qui viennent ajouter à la confusion.
- Le premier débat est le celui du Grand-Paris. Le constat sur lequel tout le monde s’accorde enfin aujourd’hui : Paris dans ses 105 km2 est trop petit, étouffe et surtout ne correspond pas à la réalité de la ville aujourd’hui. La réalité de la ville dépasse largement les frontières du périphérique, « Paris est plus grand que Paris » disait récemment Bertrand Delanoë. Il faut trouver une façon de gouverner cette ville, lui donner une réalité et la réunifier. Là se trouve le débat du Grand-Paris, quelles institutions, pour revenir notamment sur l’énorme erreur de 1964, lorsque le département de la Seine et celui de la Seine et Oise ont été éclatés.
- Le second est le débat autour du SDRIF, le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France. La révision en cours du schéma de 1994, avec de nouvelles règles donnant un rôle majeur à la Région et aux collectivités a changé la donne, dans une France plus décentralisée. Que veut-on faire de la région pour les 30 années à venir, comment résoudre le déséquilibre est-ouest, comment lutter contre l’étalement urbain tout en résolvant la question du logement, décongestionner l’agglomération et développer les transports collectifs, se placer dans la compétition internationale tout en défendant un développement durable, etc. Le résultat du travail de révision ne satisfait pas tous les acteurs impliqués, en particulier l’Etat, qui joue un jeu qui n’est pas dénué d’arrière-pensées*, si certaines de ses remarques sont justes. Il faut cependant noter qu’au-delà de prises de positions politiques, même à gauche, le SDRIF ne fait pas l’unanimité.
- Le troisième débat est celui du rôle que l’Etat peut ou doit jouer dans la région capitale. Paris et la région parisienne ne sont pas une ville ou une région comme les autres. Au-delà du monstre administratif que l’on a réussi à créer avec une commune-département, entourée de plus de 400 communes dans la zone dense réparties dans 7 départements, avec des contrastes énormes en terme de densité et d’urbanisation, le statut de Paris (grand ou petit) et de la région est aussi celui d’une capitale et d’une métropole internationale, rassemblant 20% de la population française, produisant 30% du PIB, concentrant l’essentiel des fonctions régaliennes. Bref un territoire qui n’est pas anodin et dans lequel l’Etat a des raisons de vouloir intervenir, et même le devoir de le faire, y compris en matière d’investissements et d’aménagements.
Le problème, c’est que ces trois débats se mélangent, se confondent et interférent les uns avec les autres. De façon naturelle, car il serait caricatural de vouloir les isoler hermétiquement, mais aussi d’une façon malicieuse pour ne pas dire maligne, à l’instar du discours de Roissy en juin dernier dans lequel Nicolas Sarkozy se fait un malin plaisir de tout mélanger, réclamant un Grand-Paris, renvoyant le SDRIF dans ses buts et annonçant le retour de l’Etat dans la région au grand dam des élus en général de gauche, Jean-Paul Huchon en première ligne, s’étouffant de colère devant le mépris affiché par le gouvernement vis-à-vis des élus, de la décentralisation et des règles démocratiques les plus évidentes.
Si comme le faisait remarquer jeudi dernier Guy Burgel, Nicolas Sarkozy a « un réel talent de déstabilisation des acteurs » de la scène politique francilienne, il faut reconnaître que son pavé dans la mare fait pas mal avancer les choses. Et depuis le début, les réponses de Bertrand Delanoë, le maire de Paris, sont particulièrement intéressantes à analyser, car lui semble avoir décrypté certaines des arrières-pensées du président de la république, ou au moins avoir compris comment en tirer parti.
Tout d’abord en dissociant d’une certaine façon la question du SDRIF de celle du Grand-Paris. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que la question du SDRIF est indépendant de la taille de Paris, petit ou Grand, et que même avec un Grand-Paris, il faudrait de toute façon un SDRIF. La différence, c’est qu’il sera alors certainement plus facile et plus rapide à établir, et qu’il aura sans aucune difficulté plus de cohérence que l’actuel projet.
Pour revenir au maire de Paris, il est intéressant de noter que dans l’entretien qu’il donne aujourd’hui au Journal du Dimanche, à aucun moment il ne mentionne le SDRIF alors que l’Avis de l’Etat communiqué cette semaine rendait le sujet d’actualité. Non, il garde habilement l’angle du Grand-Paris, qui est avant tout politique, y compris au sens étymologique du mot. Et en deux questions il résume sa démarche. A propos de l’idée d’une loi sur le Grand Paris, il répond, « deux méthodes s’opposent: contourner les élus et préparer dans l’opacité des réformes législatives à la hussarde ; ou construire à partir de ces élus. C’est la seule option valable. Je propose donc aujourd’hui que, dès après les élections de mars prochain, les nouveaux élus légitimés par le suffrage universel se réunissent dans le cadre d’assises de l’agglomération parisienne, pour élaborer un schéma institutionnel et un calendrier. A l’issue de ce processus, le dispositif législatif à engager sera le fruit d’une vraie concertation. » Puis lorsqu’on lui demande quel Grand-Paris il souhaite concrètement, Delanoë répond : « la discussion devant, selon moi, s’ouvrir après les élections, je refuse à ce stade d’anticiper sur ses conclusions. Simplement, une remarque: nous ne partons pas de rien. Il existe déjà en région parisienne de grands syndicats intercommunaux qui gèrent l’assainissement ou le traitement des déchets. Il existe aussi le Stif, chargé d’organiser les transports franciliens. Pour le reste, nos concitoyens attendent des réponses concrètes sur les grands enjeux: la difficulté à se loger, un développement économique déséquilibré entre Est et Ouest, des inégalités sociales et fiscales entre les communes. Une structure intercommunale devrait donc donner plus de force à notre agglomération, notamment en favorisant un meilleur partage des ressources fiscales et des efforts de solidarité. Surtout, il appartiendra à l’Etat d’assumer ses responsabilités, à travers des dotations budgétaires équivalentes à celles des autres intercommunalités françaises. ». Recentrage sur le Grand-Paris et ses enjeux, exit les aléas du SDRIF, et l’Etat est rappelé à ses responsabilités.
D’ailleurs que l’Etat impulse le mouvement, c’est certainement une très bonne chose. L’héritage d’Haussmann et de Delouvrier ne sont pas à passer par pertes et profits. Et lorsqu’il s’agit comme le dit Paul Chemetov de “dépenser en 10 ans ce que l’on va payer en 30 ans”, l’implication de l’Etat n’est certainement pas à rejeter pour mobiliser les budgets d’investissement. Mais pour revenir à Delanoë, lcertes les élus auront leur mot à dire, mais sous réserve qu’ils soient mandatés pour cela. Paradoxalement, si l’enquête publique sur le SDRIF a lieu, nous serons consultés sur un texte que la grand majorité d’entre nous n’aura pas lu, alors que le Grand-Paris resterait l’apanage des seuls élus sans consultation des habitants ? Je ne crois pas que le Grand-Paris ait été un thème de profession de fois d’un seul des élus de l’agglomération parisienne. Peut-être quelques exceptions, mais certainement marginales. Lors de la conférence de jeudi dernier, Guy Burgel répondant à une question sur les obstacles au Grand-Paris, répondait que «le principal obstacle était social et non politique ». L’obstacle c’est nous, les citoyens et habitants de l’agglomération parisienne. Il y a un énorme travail pédagogique à entreprendre, pour expliquer le Grand-Paris, faire ouvrir les yeux sur le fait que la ville est une. Le blocage est certainement plus psychologique et social que politique, et dépasse largement le clivage droite gauche. Mais si la tâche est lourde, il n’est pas impossible de faire réaliser à quel point Paris est une ville unique, une fois de plus je rappelle l’épisode Vélib’ comme révélateur du besoin de Grand-Paris pour le grand public, et comme aiguillon pour les politiques.
A ce propos, un commentateur trouvait une de mes dernières notes partisane (traduisez de gauche critiquant de façon systématique la droite ) et ne comprenait pas que Paris est sa banlieue qui s’engage pour le Grand-Paris critique Sarkozy lorsqu’il plaide à son tour pour le Grand-Paris. Ce qui m’avait choqué dans le discours du président de la république à Chaillot, c’est d’abord la confusion entre création d’un Grand-Paris et aménagement d’un Grand-Paris. Il en joue et ce n’est pas bien. Mais surtout, ce qui m’avait fait bondir, c’est d’entendre parler du « scandale de l’abord des villes » dont « la laideur n’est pas une fatalité » dans la bouche du président de la République. Y a-t-il pire façon de stigmatiser la banlieue et de renforcer dans son aversion une population - celle de Paris intra-muros - déjà peu encline à regarder de l’autre côté du périphérique ? Que vient faire cette notion d’esthétique dans le débat sur le Grand-Paris ? Va-t-on maintenant fixer des règles académiques quand la question est politique : quelle péréquation des ressources, quelles allocations de crédits, quel partage des charges et de la solidarité, quel développement cohérent ? Paris a mis ses ordures et ses morts en banlieue, ne gardant que les morts chics de ses deux grands cimetières. Mais pour autant va-t-on revenir sur le passé et renvoyer morts et incinérateurs ? La ville est un tout, avec ses abords. Et s’ils sont laids, est-ce dû à l’architecture ou à un modèle politico-économique qui réglemente l’affichage publicitaire de façon différente de part et d’autre du périphérique ? Qui enterre les fils électriques ici, mais pas là. Et s’il y a pléthore de constructions d’urgence dans certaines communes, n’est-ce pas aussi parce que certains politiques à l’image de Nicolas Sarkozy n’en ont pas voulu chez eux ? Et pourquoi enfin les logements sociaux seraient ils fatalement laids ? C’est encore une question de choix politique.
Je pense qu’il est aujourd’hui temps de replacer chaque débat à son véritable niveau, et que le Grand-Paris devienne un débat politique ouvert et honnête, pour tous. Je suis sûr que les mois qui viennent verront se débat s’instaurer. Paris est sa banlieue est prêt à y participer comme il le fait depuis plus de deux ans !
Jean-Paul Chapon
* Je reviendrai dans une prochaine note sur le SDRIF et l’avis de l’Etat, à suivre…