Je l’ai annoncé dans mon précédent billet: j’allais parler de l’expo elles@centrepompidou, que j’ai vue trop vite… je ne m’attendais pas à ça. J’étais pressé, il me restait un peu de temps entre Kandinsky et un rendez-vous dans le cinquième, j’ai vu l’entrée, je me suis engouffré. C’était trop grand. J’ai vu quatre ou cinq salles seulement et je suis ressorti. Remué.
(quelques “portraits grandeur nature” d’Agnès Thurnauer, à l’entrée de l’exposition)
Certaines critiques se sont élevées contre ce qu’elles ont considéré comme une « ghettoïsation de l’art des femmes ». Je ne vois pas où est le mal à vouloir rassembler des œuvres sur une base inédite, dût-elle être celle du sexe, ou du « genre » comme on dit depuis qu’on veut dissocier la construction culturelle de l’état biologique, bref, surtout depuis les travaux de Judith Butler. Il est des critères de classification qui font apparaître des choses que l’on n’avait jamais perçues. Ainsi de cela : qu’il y a un art qui s’exprime à base de représentations de la douleur et de la violence qui n’appartenaient pas au vocabulaire pictural de l’art masculin qui a traversé une vingtaine de siècles. La violence a été un thème de la peinture classique et moderne : que l’on pense aux batailles, depuis celle de San Romano jusqu’à Guernica, que l’on pense aux massacres, ceux de Scio ou bien ceux peints par Goya. C’est essentiellement au travers des guerres qu’on l’a représentée. Vision masculine d’une violence encadrée, militaire ou militante, avec ses oriflammes et ses trompettes, ses éclats et ses éclairs de feu. Ou bien, le massacre est encore sujet à esthétique et prétexte au déploiement de formes voluptueuses qui excitent notre désir, comme ici, sous le pinceau de Delacroix.
C’est une autre violence que nous voyons là dans « Feu à volonté » (intitulé d’une salle) ou dans « Genital Panik » (une œuvre de Valérie Export) : c’est une violence ressentie au plus profond de soi, qui s’en prend à nos organes, à notre chair. La peur est là palpable. Elle n’est pas « sublimée ». Valie Export écrit en commentaire :
Genital Panik a été présenté dans un cinéma porno de Munich. Je portais un pull et un pantalon qui laissait voir mon sexe. J’étais armée d’une mitrailleuse. Entre deux films, je disais aux spectateurs qu’ils étaient venus dans ce cinéma-là pour voir des films sexuels, mais que maintenant je mettais à leur disposition de vraies parties génitales et qu’ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient. Je suis passé lentement dans chaque rang, face aux gens. Je ne me déplaçais pas de façon érotique. Tout en marchant le long d’un rang, je dirigeais l’arme sur les spectateurs du rang de derrière. J’avais peur et je n’avais pas la moindre idée de ce que les gens allaient faire…
L’œuvre elle-même est une série de photos en noir et blanc où on la voit toute habillée, avec seulement le sexe dévoilé, et tenant une mitraillette dans les mains.
Dans la salle « Extrême tension », principalement dédiée à Louise Bourgeois , le corps est objet d’art, mais sous l’aspect du corps interne : l’estomac, les intestins, les muqueuses… et sous celle d’un bloc de polyester peint de trainées rouges sanguinolentes qui tourne autour d’une barré d’agrès comme le corps d’une gymnaste, mais ressemblant plutôt à un quartier de viande (”la rotateuse”, œuvre de Marie-Ange Guilleminot ).
Violence portée au corps encore dans la vidéo de Marina Abramovic où l’on voit une fille nue qui danse le hula-hoop avec un cerceau de fil de fer barbelé, les barbes métalliques s’imprimant à chaque tour davantage dans la chair.
(Freeing the Body)
Tout ce que l’on voit ici sonne comme le rappel lancinant des violences subies par les femmes de par le monde, du viol aux assassinats.
En sortant de ces salles qui nous tordent les boyaux, juste un petit rayon de soleil venu de Suisse, avec une vidéo projetée sur le sol due à la vidéaste helvétique Pipilotti Rist … des fleurs du printemps, un papillon qui voltige et les enfants peuvent y venir pour suivre un halo de lumière. Temps de respiration qui ouvre sur autre chose : « une chambre à soi », multiples variations sur l’intimité des chambres, émanant de Dorothea Tanning ou de Sophie Calle (« Le lundi 16 février 1981, je réussis, après une année de démarches et d’attente, à me faire engager comme femme de chambre pour un remplacement de trois semaines dans un hôtel vénitien : l’hôtel C. On me confia 12 chambres du quatrième étage. Au cours de mes heures de ménage, j’examinai les effets personnels des voyageurs, les signes de l’installation provisoire de certains clients, leur succession dans une même chambre. J’observai par le détail des vies qui me restaient étrangères. »).
(Dorothea Tanning, chambre 202)
(oeuvres de Pipilotti Rist non exposées à Beaubourg)
Autre chose qu’un ghetto : la découverte d’un autre regard tout simplement. Un peu comme si nous nous voyions, nous les hommes, depuis une autre face du monde.
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 06 juillet à 15:44
bonjour, j'vais deux réactions à votre article : la première c'est de dire à tout le monde d'aller sur le site + blog de l'expo mais citron l'a déjà conseillé - pour revoir les images et lire plein de trucs sur ces artistes, etc http://elles.centrepompidou.fr la seconde c'est pour la guerre : je vous conseille ce livre, peindre la guerre, jerome delaplanche et axel samson http://www.latribunedelart.com/Publications/Publications2009/PeindreGuerre_599.htm
posté le 25 juin à 17:13
http://elles.centrepompidou.fr/blog/ : le blog officiel de l'exposition (articles, photos, vidéos et débats sont au rdv) !!!