Ça commence sur une plage, un automne, avec deux vieillards autour desquels des mouettes volent. Puis, changement de décor, une histoire d’amour. Mais rencontrer le prince charmant pour une petite boutiquière londonienne, à la fin du siècle dernier, ce n’est pas forcément un conte de fées qui se réalise… Le mariage secret qu’elle réclame depuis que leur est née une petite fille pourrait même la mettre terriblement en danger. Ces instants de bonheur illusoire précèdent effectivement une lente et inexorable descente aux Enfers. Beaucoup de vies sacrifiées, des prostituées atrocement mutilées, des rumeurs urbaines, des bouc-émissaires, et peut-être un homme rendu fou par le sang.
La version choisie par Moore prend une portée politique et morale considérable : les meurtres de Whitechapel n’y sont plus seulement des faits divers sordides, mais le résultat d’un vaste complot dans lequel baignent la famille royale, les francs-maçons, les chefs de Scotland Yard, et finalement ils constituent l’acte de naissance d’un XXe siècle qui voit se développer la presse à scandale (car elle fit ses choux gras de l’affaire) et qui fut un siècle de sang (ce qui ne nous empêche pas d’être plongé dans un monde étrangement désuet, qui ne manqua pas de me rappeler Affinités de Sarah Waters, car il y est question aussi de la vogue du spiritisme)… La vision est vaste, elle revient aux sources de la violence, et le meurtrier, au moment des crimes, semble capable de dépasser son temps, plongeant à la fois dans l’Egypte obscure qui influence les rituels francs-maçons et dans un avenir qui est le nôtre.
C’est enfin un livre sans fin, d’abondantes notes (passionnantes) venant compléter la lecture, notes elles-mêmes suivies d’une sorte d’appendice racontant une chasse aux « mouettes » (du nom, anglais, du suspect mis en cause dans le roman), c’est-à-dire l’histoire des spéculations sur l’identité du meurtrier, identité toujours fuyante.
S’il faut s’accrocher pour entrer d’abord dans ce pavé (les personnages changent régulièrement dans les premiers chapitres et le dessin sombre ne les rend pas attachants), on sort époustouflé de cette plongée au cœur du sordide, du mysticisme et de la folie.
Découvrez Patti Smith!