-Pour moi c’est la France, M’ame Daube, la France avec des tas de gens autour, plus ou moins aimables, plus ou moins bien élevés, comme dans mon immeuble : bonjour, bonsoir, un mot sur le printemps pourri, le prix des légumes, la coqueluche du petit dernier, et puis chacun chez soi.
-Mais l’Europe, c’est la paix, M’ame Michu !
-Qu’on nous la fiche.
-Et la monnaie commune ?
-Elle a fait le beurre de ma crémière.
-Les assemblées de copropriétaires m’ont toujours assommée. Le syndic habite aux antipodes mais nous couve comme fourmi ses pucerons, il veut toujours refaire quelque chose : repeindre la cage, ravaler la façade, changer la gouttière ou la femme de ménage, et bien sûr l’éternel serpent de mer : pire que l’entrée de la Turquie, l’aménagement d’un ascenseur ! Moi, je loge au second et j’ai mes jambes.
-Donc, vous ne votez pas ?
-Si, bien sûr, y a pas tant d’occasions de présenter ses papiers pour une vieille de souche. Mais ne me demandez pas ce que je pense des programmes, m’ame Daube. Je vote à la bobine, au filigne comme dit ma nièce.
-Allez, M’ame Michu, trêve d’isoloir, dites-moi la bobine qui vous revient. La petite Dati ?
-Ah non, par exemple ! envoyer en Alsace une brune piquante qui pond à la va-vite, refuse de nommer le coq et se pare des plumes du paon !
-Vous voilà bien pipole…Martine, peut-être ?
-Dans le genre grande Zoa, je préférais Régine.
-Mélenchon ?
-Je l’aimais assez. Fini. Je ne donnerai pas ma voix au malotru envoyant « au diable » la pauvre Arlette Chabot, qui s’était échinée à mijoter un plateau de petites tables comme en terrasse « Chez Eugène » pour la friture de rivière et le cabernet.
- Ne me dites pas que vous allez voter Cohn-Bendit ?
-Mon Dieu non, y a un âge pour tout, M’ame Daube. Le genre sale gosse, quatre décennies après Nanterre, c’est un peu réchauffé. Lancer « T’es trop minable, mon pote » à un agrégé des Lettres !
-J’y suis, c’est pour Bayrou que vous en pincez.
-Du tout. Ne me parlez pas de ce montreur d’ours, cracheur de feu et père noble à rodomontades.
-De Villiers ?
-Le problème de ce vicomte, c’est d’abord la déglutition.
-La fille Le Pen ?
-Trop d’épaules et d’encolure. Elle serait parfaite en natation.
-Alors Besancenot. Je parie que c’est le joufflu que vous rêviez toujours d’emmailloter.
-Hélas ! je vois trop le grand couteau pointer dans la poche revolver.
-Marie-George Buffet ?
-Le prénom est louche, le nom sent l’encaustique. Sans doute une personne accorte, bien causante, possible pour un thé de loin en loin.
-Mais enfin, M’ame Michu, alors qui ? Quelle bobine ? Je perds le fil.
-Voulez-vous que je vous dise ? Vraiment ? Alors faut d’abord que je vous expose mon idée de l’Europe.
-Aïe… Faites vite, mon neveu passe me prendre dans une demi-heure.
-Dix secondes suffisent : une Europe totalement intégrée, une sorte de nation-continent de l’Atlantique à l’Oural et de Helsinki à Gibraltar. Et, pour unifier toutes ces populations, un hymne : la Marseillaise ; une monnaie : l’ancien franc ; une langue : celle de Molière ; un régime : l’Empire, avec le bourguignon comme poule au pot tous les dimanches.
-Mais quelle bobine, M’ame Michu, à la tête de ce grand machin ?
-Ne faites pas l’innocente, vous voyez très bien.
-Lui ?
-Je m’en vais de ce pas inscrire son nom en bleu blanc rouge sur le bulletin de Dieudonné.
-Ça fera un nul.
-Je ne vous le fais pas dire.
Arion