… à l’occasion de la fête des Mères
Qu’il est donc naturel de fêter les mères ! Le commerce n’y est pour rien.
De celle qui m’importe, est-il trop tard, ou trop tôt , ou seulement déplacé ici d’évoquer l’image ?
Elle disait « Moi, je m’aime », et cela coulait de source, bien loin des pays d’égoïsme et d’orgueil, coulait de source fraîche, indispensable au verdoiement de notre prairie.
Elle disait « Tu es beau », et le malingre, après un tour devant le miroir d’amour d’elle, affrontait un peu mieux sa piètre image aux reflets des vitrines et dans les regards coupants des rois du monde.
« Tu es doué, spirituel », et l’infiniment douteux entendait sans honte le timbre de sa voix. « Du cristal », il se croyait moins terne.
Parfois, elle n’est déjà pas plus réelle dans la mémoire qu’un souvenir de vacances ensoleillées. L’évidence nous frappe qu’elle s’est dissoute absolument dans l’assemblage matériel qui la constituait de corps et d’âme.
Parfois, au contraire, on croit la sentir à côté, autour, guidant nos pas parmi les grands et petits risques, nous orientant même dans le réseau des futilités, ce superflu qu’elle aimait tant, elle pourtant si profonde.
Les enfants vieillis se plaisent à rêver que leur mère morte continue de veiller, qu’elle n’a toujours pas mieux à faire que de leur inspirer le brusque dégoût du tabac, les prévenir de ce camion tueur à droite, les diriger à gauche dans le dédale des allées vers la boutique où les attend l’objet rare qu’ils cherchent !
Quelques secondes, ils se figurent que c’est elle.
Non pas elle à trente ans, ou cinquante ou soixante, souveraine ; ni la déchue que l’âge cruel mange à petites bouchées, qu’il faut nourrir de même, langer, et qui trouve la grâce de sourire si doucement dans les humiliations.
Elle sans visage, juste Elle.
Elle de toujours et de nulle part, et telle qu’il est réconfortant d’imaginer que nous la reverrons sans yeux.
Arion