Apparences

On répète que les apparences sont trompeuses. Les sens eux-mêmes sont accusés d’être trompeurs. Mais qui mieux que nous-même pourrait nous tromper ?

Le soleil, petit disque brillant à l’horizon, est une apparence. Il n’est pas tel qu’il paraît. De même la voie lactée. De même le grain de la peau. Nous n’en voyons ni la composition, ni les causes. Si nous les jugeons tels qu’ils s’offent aux sens, nous sommes dans l’erreur, trompés, comme on dit, par l’apparence.

Télescopes et microscopes ne montreraient-ils pas les choses sous leur véritable aspect ? Sous la traînée blanche de la voie lactée, une myriade de soleils. Sous la surface incarnate de la peau, des cellules par myriades. Le réel semble enfin percer sous les apparences…

Il est pourtant clair que ces agrandissements ne sont en rien moins énigmatiques : ces points lumineux, ces cellules sont également en attente d’explication. Aucune de ces images, si nette soit-elle, n’est claire par elle-même. Nous ne faisons qu’aller d’apparences en apparences.

Ce qui nous trompe, ce n’est donc pas ce qui apparaît, même la première fois, mais le sentiment de comprendre immédiatement ce qui s’offre à l’observation, l’idée implicite que l’apparence montre tout ce qu’il y a à connaître de l’objet. Mais cette erreur n’incombe qu’à nous.

Au fond, nous croyons que le réel est donné derrière les apparences, qu’il se manifestera quand les instruments auront poussé plus avant. Mais c’est reculer le problème : aucune observation ne porte en elle le principe de son explication ; nous ne sortons à aucun moment de l’apparence.

Le réel est simplement ce que l’esprit comprend de ce qu’on lui montre. Ce n’est qu’une meilleure compréhension de l’apparence, qui est toujours ce qu’elle doit être, sans jamais être ultime. C’est pourquoi les apparences sont innocentes de nos erreurs.