Mèche allumée, traînée de poudre, lorsque l'explosion
adviendra, je ne crois pas qu'elle sera contenue aux seuls quartiers dans lesquels elle naît. Dans l'urgence, nous devons quitter les bureaux sis rue de l'arbrisseau à Lille. Oui vite, parce que
nous ne sommes plus en sécurité, nous devons abandonner des locaux que nous occupons depuis plus de quatre ans. Je ne sais que trop bien comment tout cela a commencé : cela a commencé alors que
nous n'étions pas là ! Dans ces quartiers, on a laissé s'installer des ghettos de fait dans lequel a grandit le sentiment d'injustice et de discrimination. On s'est occupé du centre et on a laissé
la périphérie se gérer toute seule. Quand nous sommes arrivés là, les commerces n'étaient plus bien nombreux L'ont-ils jamais été ? Quand nous sommes arrivés, les représentants de l'état, et des
administrations locales avaient déjà fermé les quelques permanences qu'ils tenaient encore la veille quand elles existaient. Pour rationaliser les fonctionnements, optimiser l'outil administratif,
on a de fait abandonné des pans entiers de la population. Une partie de la population qui plus qu'une autre nécessite l'attention de la république.
Quand nous sommes arrivés, on demandait aux associations de gérer les urgences sociales, éducatives, humanitaires, culturelles et de réduire les faillites du système. Aujourd'hui, plus rien n'est
possible. Dans ce micro-quartier, de la briquetterie-arbrisseau, malgré les dires du Préfet et de la Maire de Lille, grandit une zone de "non droit". Nous ne pouvons plus y travailler, nous
devons en partir. Comment faire autrement quand je lis la peur dans le regard des nouveaux salariés, accueillis ces derniers mois. Comment faire autrement quand les incidents deviennent quotidien ;
vitres cassé, jets de pierre, insultes et crachats comment faire autrement ? Comment faire autrement quand dans le lieu de travail, résonnent les cris, les bruits de pneus qui crissent, des moteurs
qui vrombissent et rendent la concentration impossible. Comment faire autrement, quand la peur devient le quotidien
? Les habitants du quartier marchent vite, tête baissée ; ne traîne pas dehors celui qui n'a rien à y faire ! Les cultures s'affrontent, le ghetto est installé
et une jeune génération multiplie les actes violents qui sont autant de cris de rejets de la société. Alors nous avons envoyé une lettre alertant les pouvoirs
publics et notre bailleur de la situation et de l'impossibilité de continuer ; dans l'urgence (il a fallu quelques semaines) on nous a relogé et ces derniers jours, en parallèle de l'installation
en résidence à Calonne Ricouart, nous avons organisé le déménagement de nos bureaux. Aujourd'hui et demain dimanche, nous peignons les murs et lundi c'est dans de nouveaux locaux sis au coeur du
quartier de Faubourg de béthune à Lille que nous travaillerons. Je le sais, notre déménagement appauvrit encore un peu plus cette zone mais je n'y peux rien ; cela en était arrivé à un point tel
que sans déménagement nous aurions tout simplement fermé les portes de notre activité.
Fabrice Levy-Hadida - Cie Les Mille et une Vies - Théâtre de Marionnettes Itinérant