Persépolis (un peu) et l'Iran (beaucoup)

Publié le 17 septembre 2007 par Vincent

Je viens de terminer les quatre tomes de Persépolis de Marjane Satrapi. Et comme tout le monde le dit, c'est bien. Je n'ai pas encore vu l'adaptation au cinéma (mais je ne vois pas pourquoi ça serait complètement raté a priori), j'ai juste dévoré les quatre tomes de cette BD qui raconte, via quelques anecdotes, la jeunesse d'une iranienne qui a connu le renversement du shah et la révolution islamique.

C'est amusant que ces bandes dessinées (et le film correspondant) aient eu du succès en France. J'y vois une sorte d'ironie bien cachée de l'histoire car, rappelez-vous, l'ayatollah Khomeyni, il s'était exilé en France (où il était resté quand même une bonne quinzaine d'années). Des chassés-croisés de cette sorte entre l'Iran et la France, il y en a plein: depuis les Lettres persanes de Montesquieu (rappelez-vous le célèbre:  Comment peut-on être persan ?) jusqu'à Henry Corbin, infatigable éditeur et commentateur de textes spirituels persans (ismaéliens et shiites). A croire qu'avec l'Iran, on n'en a pas fini et heureusement en un sens.

J'ai quand même une petite inquiétude. Que les gens retiennent le côté dictature absurde dans lequel est tombé (temporairement j'espère, je ne crois pas aux dictatures durables - je parle bien entendu en termes de siècle) l'Iran. Je vous rassure, je ne pense pas qu'il ne fallait pas le dénoncer, cet aspect là. Non, non, ce n'est pas ce que je veux dire. Marjane Satrapi l'a bien fait (sans d'ailleurs s'y limiter) et il n'y a rien à dire là dessus. Non, ce que je crains, c'est qu'on ne retienne que cela de l'Iran que l'on finirait par confondre avec un pays comme l'Arabie saoudite. Erreur qui ne serait nullement du fait de Mme Satrapi mais que les gens, eux par contre, feraient bien vite. Un indice -  dans une interview sur France Culture, on demande à Marjane Satrapi:

Est-ce qu'il y a eu un travail d'adaptation, parce que vous arrivez d'Iran au moment où vous écrivez, où vous dessinez, et vous arrivez d'une culture iranienne où on ne connait pas les représentations humaines car c'est un pays islamique ?

Et evidemment, la réponse ne tarde pas:

C'est pas vrai, parce qu'en Iran il y a les représentations humaines que ce soit des sculptures ou autres, même tous les imams, les shiites, il y a des représentations humaines même pour le dessin. Dans tous les imams, ils présentent les prophètes, ils présentent tout le monde. L'Iran a un Islam très particulier parce qu'il y avait un Iran avant l'Islam qui avait ce grand empire perse qui existait. Même le shiisme, c'est l'islam mélangé au zoroastrianisme et toutes ces histoires des douze imams, la succession ne se fait pas de père en fils dans l'islam.  (Source - je retranscris tel quel, j'ai juste supprimé les deux m de "imams") 

Eh oui, c'est l'Iran ! Un pays où l'on écrit en caractères arabes une langue dont la grammaire est indo-européenne (vous avez bien lu, par exemple le verbe être existe en persan alors qu'en arabe, il est sous-entendu à tel point qu'on a pu dire qu'il n'existe pas). Un pays où l'on a développé les célèbres miniatures alors que le monde musulman interdisait toute représentation humaine (ce qui ne veut pas dire qu'artistiquement parlant il n'ait pas fait des choses intéressantes en art). Un pays où Hafez et Khayyam célébrait dans des poèmes subtils l'ivresse (et ne nions pas l'évidence, ce n'était pas qu'un symbole le vin dans leurs poèmes - ils en buvaient). Un pays où la musique a emprunté et au monde indien et au monde arabe pour créer des mélopées enivrantes (le plus souvent sur les paroles des grands poètes comme Hafez, Saadi ou Khayyam). Un pays où l'islam sunnite ne s'est pas imposé du tout. Bref, un pays à part quand même dont la tradition littéraire, musicale et mystique fait qu'il est plus complexe à saisir que - par exemple - l'Arabie saoudite. Un exemple: vous aurez bien du mal à trouver une édition d'Ibn Arabi en Arabie Saoudite (et en Egypte on avait, il fut un temps, interdit la publication des Futuhat). En Iran, Khomeyni a commenté Ibn Arabi (cf. le livre: L'Imam Khomeyni, un gnostique méconnu du XXe siècle publié par Al Bouraq qui nous montre une facette spirituelle de l'auteur qu'on chercherait en vain chez n'importe quel autre dictateur). Alors, bien entendu, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit: que c'était un grand homme et tout et tout. Ce n'est pas ce que je veux dire. Peut-être aurait-il dû d'ailleurs continuer à commenter Ibn Arabi et à écrire plutôt que faire la révolution islamique. Toujours est-il qu'en Iran, c'est toujours un peu compliqué qu'ailleurs. Pas aussi caricatural qu'on voudrait le faire croire. 

Alors un conseil: lisez Persépolis ou empruntez-le (et comme dit Stéphane, lisez des livres de toute façon), c'est bien. Et ne vous arrêtez pas en si bon chemin, partez à la rencontre de l'Iran qui n'est pas que celui du nucléaire et de la révolution islamique: cet Iran dont Hérodote nous parlait déjà et qui se prolonge avec Ferdowsi et Hafez, il existe aussi.

P.S n°1: Non, je ne suis pas iranien (au cas où quelqu'un me poserait la question) mais j'ai appris un peu de persan qui est une jolie langue à l'oreille - tous les sons arabes un peu rudes (à l'oreille occidentale s'entend) sont adoucis. A l'occasion, je ferais une petite chronique là dessus.

P.S n°2: Sinon, j'ai repris le boulot et les posts vont s'espacer. Ne vous inquiétez pas s'il n'y a rien pendant une voire deux semaines. Je me suis donné comme règle de faire des billets de qualité plutôt que de faire une chronique du style : "Coucou, j'existe encore mais désolé, la vie, tout ça". Les flux RSS de ce point de vue sont une invention pratique, mettez mon blog en surveillance (RSS s'entend), tout vient à point à qui sait attendre.

P.S n°3: en SF, je lis beaucoup mais je réserve quelques critiques pour Le Cafard cosmique (qui ne dédaigne pas les contributions, n'hésitez pas à participer à ce site de qualité si le coeur vous en dit et si l'administrateur vous donne son feu vert). Là aussi, on ne s'inquiète pas, je vous réserve quelques chroniques en exclusivité à vous aussi. A bientôt.