Les Français tiennent-ils vraiment à la démocratie ?
Voilà une question intéressante du point de vue du storytelling, parce que la réponse est de nature à transformer sérieusement les histoires que nous vivons.
Le 26 mai dernier sur France Inter, Pierre Rosanvallon, historien et professeur au Collège de France, également président de l'association La République des idées, déclarait que la démocratie ne se résume pas au vote, mais que sans vote il n'y a pas de démocratie.
Que dire, alors que l'on nous promet 60 % d'abstention aux élections européennes ?
Difficulté à comprendre l'Europe, certes, mais l'abstention électorale est un mal récurrent.
Ne peut-on pas soupçonner également de la part des Français une tentation sourde de renoncer à la démocratie pour appeler à l'avènement de ce qu'on appelait dans la Rome et surtout la Grèce antique un « bon tyran » ?
Qu'il y ait ou non un « bon tyran » potentiel prêt à prendre le job, ça c'est une autre question.
Mais qu'est-ce qu'un bon tyran ?
Initialement, tyran signifiait « maître », « chef ».
Dans la Grèce antique, le « bon tyran » est apprécié par le peuple, qui le soutient (même si le contraire n'aurait rien changé à l'ordre des choses).
Le tyran Cypsélos de Corinthe pouvait, paraît-il, se promener sans gardes en pleine ville sans risquer quoi que ce soit. Aucun dirigeant d'aujourd'hui ne pourrait se le permettre. Le fils de Cypsélos, le tyran Périandre, est même classé parmi les 7 Sages de la Grèce antique, lui dont la devise était « prudence en toute chose ».
Et si Jules César portait le titre de dictateur, c'est bien parce que le peuple romain, plein d'admiration, le lui avait décerné.
Un bon tyran était à l'époque un chef qui régnait sans partage et parfois par la terreur (Cypsélos et Périandre liquidèrent les aristocrates), mais faisait le bien autour de lui.
Cypsélos est par exemple connu pour avoir réparti les terres agricoles de manière plus équitable. Périandre supprima les impôts à Corinthe tout en réalisant des grands travaux.
Sans que cela ne soit en rien rassurant, ne peut-on pas voir dans l'indifférence populaire face à des propositions ou décisions gouvernementales jugées liberticides par les parties adverses mais en tout cas marquées par la volonté de redonner de la vigueur à la valeur « autorité », l'amorce d'un appel du pied pour aller encore plus loin ?
Resterait encore, donc, à trouver quelqu'un qui accepterait d'être ce bon tyran.
Aristote observait déjà que lorsque le peuple se sent menacé dans sa suprématie il se choisit un protecteur et les oligarques (lorsqu'un groupe restreint d'individus concentre le pouvoir) un tyran.
Platon ajoutait que « tout excès provoque une réaction en sens contraire », une tyrannie naissant donc d'une grande liberté.
Les qualités du bon tyran :
ses partisans sont plus nombreux que ses détracteurs,
il protège son peuple en persuadant riches et pauvres que leur salut dépend de son maintien au pouvoir et il évitera la haine et le mépris en récompensant lui-même ceux qui le mérite et en
laissant châtier par d'autres.
Machiavel conseillait aussi au tyran d'être intelligemment cruel, c'est-à-dire juste au début pour assurer la prise de pouvoir sans poursuivre, en laissant place à une politique recherchant le bien des sujets.
Parmi les tactiques proposées par Machiavel : la délégation de la cruauté à un expert en la matière, exécuté dès sa tâche accomplie, pour le remplacer par de vrais organes de justice.
Autres conseils de Machiavel : paraître pitoyable, être fidèle, intègre, humain, religieux... en étant prêt à faire le contraire si nécessaire.
Autre habileté encore, soulignée par l'Académicien et homme de la droite extrême Jacques Bainville, en parlant du dictateur athénien Périclès : "son habileté consista à persuader le peuple qu'il se gouvernait lui-même alors qu'en réalité ce qui lui était proposé avait été filtré de tout antagonisme".
Gare pourtant à celui qui accepterait le rôle de bon tyran : à la fin de l'histoire, les tyrans sont la plupart du temps assassinés.
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