- Rencontre avec Naïm Qassem, le numéro deux du parti de Dieu.
On le connaissait pour ses appels enflammés à la « résistance islamique » contre Israël. Aujourd'hui, l'objectif n'a pas changé. Mais à la veille des élections législatives libanaises, c'est le politicien qui sommeille sous le turban qui prend la parole. «Nous sommes une composante essentielle du pays. Personne ne peut nous ignorer », insiste, confiant, Naïm Qassem, dans cet appartement de la banlieue Sud de Beyrouth aux rideaux minutieusement tirés, et dont l'adresse est tenue au plus grand secret.
A 57 ans, ce clerc chiite à la barbe poivre-sel est un des hommes clefs du Hezbollah libanais. Numéro deux dans la hiérarchie du Parti de Dieu, il est le bras droit du secrétaire général, Hassan Nasrallah, auquel, disent les rumeurs, il pourrait succéder si le leader du mouvement était appelé à disparaître.
Confortablement installé dans son fauteuil, Naïm Qassem a ses raisons d'être à l'aise, en dépit du dispositif sécuritaire qui l'entoure. La popularité de son mouvement auprès de la rue arabe s'est renforcée depuis la « victoire divine » de l'été 2006, contre Israël. Au Sud du Liban, où flottent d'immenses portraits de « martyrs » du parti, l'emprise du Hezbollah, appuyé par l'Iran et la Syrie, est indéniable.
En interne, la mini guerre de mai 2008 entre milices sunnites et chiites, qui déboucha sur les accords de réconciliation de Doha, lui a permis de marquer des points sur le complexe échiquier politique du pays du Cèdre, en héritant d'un droit de veto au sein du gouvernement libanais. Et demain, la coalition du « 8 mars » - une alliance rassemblant, entre autres, le parti de Dieu et le CPL du chrétien Michel Aoun -, pourrait bien remporter, pour la première fois, la majorité au sein du Parlement.
Interrogé sur une éventuelle victoire, Naïm Qassem n'a qu'une réponse : « En interne, ces élections ne vont pas changer grand-chose », dit-il. A ses yeux, l'actuelle affirmation politique du Hezbollah et le maintien de ses armes sont des acquis qui dépassent le processus électoral. « Ce qui compte avant tout, pour nous, c'est un Liban fort et indépendant capable de se protéger contre l'occupant israélien », dit-il.
Le ton est donné. « Les armes du Hezbollah font partie de la résistance, et ne peuvent en être séparées. Avec l'occupation des fermes de Shebaa et la violation régulière de l'espace aérien libanais par Israël, la résistance restera une nécessité quel que soit le résultat du scrutin», prévient-il, au grand damne du courant du « 14 mars » (actuellement majoritaire au Parlement) rassemblé autour de Saad Hariri, le fil de l'ex-premier Ministre assassiné en 2005, qui y voit une atteinte à la souveraineté de l'Etat libanais. Quid de l'intégration possible, sur le long terme, de la branche armée du Parti à l'armée libanaise comme solution préconisée par certains ? « Il est trop tôt pour en parler », répond-il.
Le dispositif sécuritaire - et gardé au plus secret - qui entoure le Hezbollah en dit long sur le degré d'opacité de cette organisation, créée au début des années 80. Rares sont les apparitions en public de Hassan Nasrallah, dont la plupart des discours sont retransmis sur grand écran. Pour rencontrer Naïm Qassem, il faut préalablement montrer pâte blanche au bureau des relations publiques du Parti. Après une fouille corporelle - séparée pour les hommes et pour les femmes -, et un contrôle du matériel d'enregistrement par un détecteur de métaux, les journalistes sont invités à se glisser sur la banquette arrière d'une voiture 4X4 aux vitres teintées, conduite par un chauffeur équipé d'un walkie-talkie. Après dix minutes de zig-zags à travers les rues de la banlieue chiite, la voiture s'engouffre dans un parking souterrain, où nous sommes invités à changer de voiture, pour finalement rejoindre notre destination finale où nous attend l'homme au turban...
Mais, paradoxe, les posters du Parti de Dieu, qui ornent les murs de la banlieue, laissent pourtant entrevoir une stratégie politique visant à rassurer ses détracteurs. Sur un fond jaune, trois lignes d'écriture ont été barrées en vert - « Notre Liban, Votre Liban, Leur Liban » - au profit d'un seul mot : « Liban ». Et sous la calligraphie arabe, on devine l'ombre d'une arme, comme si elle tendait à disparaître...
Cette opération de relookage rejoint, semble-t-il, un objectif plus large de relations publiques internationales qui dépasse l'alliance traditionnelle rassemblant l'Iran, le Hamas, mais également des pays d'Amérique latine, autour du fameux axe du « non » contre Israël et l'Amérique. « Les discussions peuvent apaiser les hostilités », insiste Naïm Qassem, en référence à la Grande-Bretagne, qui a récemment décidé d'entamer un dialogue avec le Hezbollah ou à la France, où le Parti de Dieu participa aux discussions de Saint-Cloud. L'élection américaine de Barack Obama, et son soutien à un processus de paix dans la région sont, bien évidemment, suivis de très près à Beyrouth. Cependant le numéro deux du Hezbollah nous explique qu'il reste, pour l'heure, sur ses gardes. « Obama se montre enclin à soutenir le dialogue, au profit de la menace militaire », dit-il. « Mais la politique américaine envers le Moyen-Orient va-t-elle pour autant changer ? J'attends un geste concret, pas seulement des paroles ».