Albert Millaud
(1844-1892) écrit un chapitre (dont les photographies sont quelques exemples d'illustrations) sur 'Le faucheur' dans ses Physiologies parisiennes
(1886) : "Paris a eu ses dandies, ses lions, ses gandins, ses gommeux, pschutteux et grelotteux. Il a maintenant un type nouveau, qui s'appelle "le faucheur". Le faucheur est cet individu, situé
entre vingt et vingt-cinq ans, que vous rencontrez sur les boulevards, une canne à la main, et qui représente à vos yeux la quintessence du chic parisien. Le faucheur est ainsi nommé à cause de
sa façon de marcher et surtout de porter sa canne. Il la tient par le petit bout, laissant traîner la pomme à terre. Le bras droit, qui se balance énergiquement de gauche à droite ou plutôt du
nord-ouest au sud-est, rappelle l'allure des gens de la campagne fauchant les blés mûrs et les foins odorants. De là le sobriquet. Le faucheur porte les vêtements les plus collant possible : des
complets à carreaux moulant le torse, des pantalons étriqués du bas, laissant paraître des pieds énormes à talons plats et à bouts pointus. Sur la tête du faucheur, vous remarquez un chapeau
toujours trop large, emboîtant le crâne jusqu'aux oreilles. En été, le faucheur porte le chapeau de grosse paille, très vaste et entouré d'un large et haut ruban moiré qui fait ressembler le tout
à quelque gigantesque mailloche autour d'une tête malade. Le faucheur est marcheur, sans quoi il ne pourrait pas faucher. Il poitrine, il bombe, il se carre. Son allure est rapide. Il ne porte
pas de gants, sa canne lui en tient lieu. Il ramène les coudes au corps et se balance en cadence. Le faucheur est très rarement seul, les mouvements du faucheur ne valent que lorsqu'ils sont
multipliés par cinq ou six. Ainsi réunis, les faucheurs fauchent militairement. Ils ne causent jamais entre eux, n'ayant généralement rien à se dire. Ils sourient et ne rient jamais. Quand les
faucheurs s'amusent, c'est régulièrement. Ils se contentent du cri "Ohé ! Ohé !" Ce cri suffit à traduire leur joie intérieure. Les faucheurs ont glorieusement accepté leur sobriquet, s'ils ne
l'ont pas inventé. Ils se réunissent le soir dans le salon d'un restaurant parisien, dont les murs sont tapissés de panneaux représentant des scènes de moisson. Rien d'étincelant ne sort de ces
réunions intimes. Les faucheurs au repos ne sont plus des faucheurs. Ils ont laissé leurs cannes au vestiaire. Figurez-vous l'immobilité des paysans de Millet, doublée de l'inutilité de jeunes
Parisiens sans cervelle. La canne du faucheur est solide. C'est un gourdin. A partir de trente ans, le faucheur porte des badines, se marie et fait souche d'honnêtes gens. Le "fauchage" est déjà
supérieur à la gomme. Le faucheur a de l'énergie dans le mouvement, et du biceps. On peut tout espérer du faucheur."
Par La Mesure de l'Excellence
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Publié dans : La Mode
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