La série Carnets d’Orient de Jacques Ferrandez vient tout juste de se refermer chez Casterman que Bamboo rouvre le thème de la guerre d’Algérie. Tahya El-Djazaïr (vive l’Algérie !) semble avoir choisi son camp. Avec ce nouveau diptyque, Laurent Galandon fait son film comme le suggère la couverture très cinématographique. Cette histoire d’amour sur fond d’insurrection est née dans l’imagination du scénariste en apprenant l’inauguration en 2002 par le président Bouteflika d’un monument aux morts en hommage aux Français qui ont rejoint le FLN.
Paul Guénot est instituteur. Il débarque à Alger en 1954 pour y enseigner. Ancien résistant, il retrouve d’anciens combattants d’armes. Après la Libération, Pierre Marlon a poursuivi dans l’Armée française régulière et participe au maintien de l’ordre. Amine Ben Khaled est revenu au pays et exerce comme projectionniste dans un cinéma d’Alger. Il a perdu son épouse lors des premières émeutes de 1945 sévèrement réprimées par les troupes françaises et vit avec ses trois enfants, la petite Yasmina, le jeune Nasser et la belle Asia. Paul et Asia se rapprochent rapidement dans un contexte qui marque le début de ce qu’on appellera beaucoup plus tard la Guerre d’Algérie. Comment les deux jeunes gens vont-ils pouvoir s’aimer dans ce climat électrique ?
Egrainé de dialogues tirés de films cultes, le récit rappelle que l’auteur a géré une salle de cinéma pendant six ans tout en soulignant l’universalité de cette culture entre Paul le Français et Amine l’Arabe. L’intrigue bien construite s’interroge sur comment rester en dehors de l’Histoire qui est en train de s’écrire. Le dilemme de Paul sera justement d’embrasser la cause indépendantiste pour sauver l’amour naissant ou de renoncer à ses valeurs gaullistes. La bascule dans un camp viendra quand il aura du sang sur les mains. En passant, Laurent Galandon questionne la place de la femme dans une société musulmane et la répression militaire envers des enfants. Militant, il dénonce aussi l’emploi de la torture par l’Armée, engrenage vers un conflit inextricable.
L’album fait prendre conscience progressivement de la gravité des événements. Le lecteur suit les itinéraires divergents des personnages dans une tension croissante. Le défi pour A.dan dont c’est le second album n’était pas évident surtout après Lax (Azrayen, Dupuis) et Jacques Ferrandez (Carnets d’Orient, Casterman). Il adopte un style réaliste plein de personnalité, centré sur les protagonistes et en nette progression.
Un album pour faire débat.
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Tahya El-Djazaïr - T.1. : Du sang sur les mains de Laurent Galandon et A.Dan - Bamboo, collection Grand Angle - 12,90 € - 3 juin 2009