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Celsius

Publié le 04 juin 2009 par Menear
Les premières chaleurs stagnantes pèsent sur le jaune des allées. La poussière ne vole pas, le souffle tombe, il n'y a aucun vent sur les ombres et la ville. La sueur roule sur la peau des visages traversés, muets, les yeux se tournent vers le sol, on piétine, le carrefour des anciennes rues réveille la tôle blanchie des épaves. Les voitures ne roulent plus : plus d'essence, huile, kérosène, les réservoirs sont creux.
L'asphalte ondule au bout de la rue, les visages qui ressortent des souterrains sont noirs de la suie avalée. On s'échange du tabac, des cigarettes. Quelques boites de conserve restent enterrées sous les débris des supérettes locales, cachées sous les regards clos. Les autres ont été pillées en masse par les dealers des faubourgs.
Des piles de linge se forment au pied des immeubles, les vitrines éventrées des magasins chics sont remplies de terre et de gravats. De la terre il s'en fabrique industriellement chaque jour. Chaque jour ils en ressortent des brouettes qu'ils lâchent par dessus le ciment, au bord des rues, tout contre les colonnes métalliques du jardin. Bientôt des crassiers se forment, débordent de trop de noir avalé, les collines grignotent lentement le périmètre du jardin. Tard, le soir, lors des dernières remontées, lorsque les brouettes pour la dernière fois se déversent, des adolescents se faufilent sous la lune pour s'enfoncer à l'intérieur. La terre des profondeurs, celle qu'on extrait pour dégager les tunnels, est encore la plus fraiche qu'on puisse trouver. Sous le sable noir ils s'enfoncent, oubliant leurs sueurs filées des épaules aux tibias, oubliant que l'eau froide sort trop chaude des canalisations bouillantes. Ensuite ils s'éclipsent comme ils étaient venus, mais sales et puant l'odeur des Halles, parfois ils migrent vers la Seine ou les grands boulevards, parfois ils s'enferment à ciel ouvert dans les chantiers de l'église d'en face. Chaque nuit qu'ils y passent marque un peu plus la disparition de l'église depuis les cimes vers le sol. Ils croisent parfois la route des macro-trafiquants, leurs bennes entières chargées de pierre ; les deux groupes se regardent, silencieux, fascinés par leur coexistence mutuelle, absurde et fabuleuse.

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