"De pierre et de cendre" Linda Newberry. Roman. Editions Phébus, 2008.
Traduit de l'anglais par Joseph Antoine.
C'est un jeune homme sans le sou qui se présente un soir de 1898 à l'entrée de Fourwinds, la propriété de Mr. Farrow.
Samuel Godwin est un jeune peintre désargenté qui a du interrompre ses études artistiques suite à la mort prématurée de son père. Alors qu'il se résignait à abandonner ses pinceaux pour gagner sa vie d'une manière beaucoup moins exaltante, un heureux effet du sort lui a fait rencontrer Mr. Farrow, un riche veuf qui lui propose de se charger de l'éducation artistique de ses deux filles, Juliana et Marianne. Très enthousiaste à l'idée de gagner sa vie en enseignant la peinture, le jeune homme n'hésite pas une seconde, quitte Londres et prend un train pour le Sussex.
Arrivé à Fourwinds, il va immédiatement être séduit par le cadre enchanteur dans lequel est située la demeure construite par Mr Farrow.
La maison, quant à elle, ne cesse de l'impressionner par la beauté de ses proportions, l'aménagement harmonieux de ses jardins, l'ameublement et la décoration subtile des pièces intérieures. Tout cela laisse deviner que Mr Farrow, son nouvel employeur, est un homme de goût, amoureux des arts et de la beauté. Samuel Godwin va surtout se prendre d'admiration pour les sculptures qui ornent les façades de Fourwinds et qui représentent (comme l'indique le nom de la maison) les Quatre Vents. Malheureusement, seules trois de ces sculptures sont en place, le vent d' Ouest n'ayant pas été achevé suite à une brouille entre Mr. Farrow et le talentueux sculpteur Gideon Waring.
Enfin, et pour ajouter à son émerveillement, Samuel Godwin va faire la connaissance de ses élèves, qui s'avèrent être deux ravissantes jeunes femmes. Le jeune homme va d'ailleurs très vite tomber sous le charme de Marianne, la plus jeune des deux sœurs.
Mais malgré cet aspect idyllique, le séjour de Samuel Godwin à Fourwinds va s'avérer fortement mouvementé. De nombreux mystères planent en effet sur ces lieux apparemment si sereins. Que penser en effet des crises de nerfs de Marianne, de ses accès de somnambulisme et de son obsession du vent d' Ouest ? Que penser, également, du renvoi du sculpteur Gideon Waring ainsi que de l'ancienne gouvernante, Miss Hardacre, très vite remplacée par la très compétente mais aussi très mystérieuse Charlotte Agnew ?
En digne héritière de William Wilkie Collins et de Daphné du Maurier, Linda Newberry nous offre, avec « De pierre et de cendre » un roman dont l'intrigue tiendra le lecteur en haleine jusqu'aux toutes dernières pages. Mystères et perversions sont au menu de ce roman dont le climat, au début, ne sera pas sans rappeler – mais sans l'égaler cependant – l'ambiance particulièrement inquiétante et mystérieuse du « Tour d'écrou » d' Henry James. L'écriture, de facture classique, nous plonge immédiatement dans l'atmosphère propre à la fin de l'époque victorienne. Le récit, relaté par les deux principaux protagonistes du roman que sont Samuel Godwin et Charlotte Agnew, donne, par l'entremise de ce procédé bien connu, une profondeur et un angle différent à chaque nouvelle information qui nous est distillée, tout en maintenant suffisamment longtemps l'aura de mystère et de dissimulation qui entoure les différents personnages.
Le lecteur se voit ainsi abusé par l'auteur qui s'amuse à brouiller les pistes et à lui tendre des perches destinées à l'égarer vers de fausses pistes jusqu'à ce que toute la lumière se fasse à la conclusion du récit; conclusion qui, bien évidemment, sera pour le moins inattendue. Tous les éléments du roman à suspense sont ici réunis et s'enchaînent à merveille au cours de ce récit qui se laisse agréablement dévorer. L'illusion qui tend à faire croire que l'on se trouve devant un roman anglais écrit au XIXe siècle fonctionne à merveille.
On peut déplorer cependant le manque de profondeur des personnages et l'on se prend à regretter que leurs caractères n'aient pas été plus fouillés, ce qui aurait apporté à ceux-ci une véritable profondeur et aurait expliqué (tout du moins en partie) les motivations de leurs actes.
Mais le but premier de ce roman étant avant tout de nous divertir, on peut pardonner à l'auteur cette légère carence dans la description psychologique de ses personnages et se laisser emporter par ce récit dont le rythme et l'intrigue ne laisseront pas un instant de répit au lecteur.
Lord Frederic Leighton : "The painters' Honeymoon" 1864