(Téhéran : dent pour dent.
Le duel télévisé d'hier entre Ahmadinejad et Moussavi pourrait bien rester inscrit à jamais dans les annales de l'histoire iranienne...
Il est 22h30, ce mercredi soir. Dans les foyers iraniens, les yeux sont branchés sur le petit écran, dans l'attente du débat télévisé entre Ahmadinejad et Moussavi. Ce face-à-face inédit entre les deux principaux candidats à la présidence s'inscrit dans le cadre des 7 débats télévisés (une première en Iran) qui s'enchaînent, ces jours-ci, entre les quatre candidats.
Montre en main, le présentateur annonce le temps imparti à chacun des protagonistes : 45 minutes. Top chrono. Assis l'un en face de l'autre, les deux candidats semblent nerveux. C'est à Mahmoud Ahmadinejad que revient la primeur de l'ouverture du débat. Les yeux pétillants, il s'en prend aussitôt à son adversaire, en reprochant à la campagne électorale de se résumer à trois personnes contre lui. "Les insultes qui me sont adressées ne sont pas graves, mais insulter le peuple qui m'a choisi est inacceptable", déclare-t-il.
Lors de leurs meetings politiques, Mir Hossein Moussavi, Mehdi Karoubi et Mohsen Rezaï ne cachent pas, en effet, leurs critiques virulentes contre l'actuel Président. Ils l'accusent d'avoir détruit l'économie du pays ainsi que son image sur la scène internationale.
Moussavi enchaîne. Costume noir et barbe grise, cet ex-Premier ministre jusqu'en 1989, s'est retiré il y a longtemps de la scène politique. Mais il a justifiée sa candidature par le fait de « sentir le danger menaçant l'Iran », et par le souhait que « l'Iran joue son rôle de première puissance dans la région ». Un peu hésitant, recroquevillé sur la chaise, le voilà qui, à l'appui de notes apparemment bien préparées, contre-attaque sans concession, en évoquant la multiplication des crises internationales provoquées par Ahmadinejad, à coup de déclarations sur l'Holocauste et de provocations inutiles envers l'Occident. « Vous avez attenté à la dignité du pays », lui dit-il, en lui reprochant, un peu plus tard, d'avoir mené une politique étrangère, marquée par « l'aventurisme, l'instabilité, l'extrémisme, l'exhibitionisme, la superstition ».
Au fil des minutes qui s'écoulent, le débat s'envenime. Moussavi ne mâche pas ses mots. Dans sa liste de griefs contre son adversaire, Moussavi n'hésite pas à évoquer la répression estudiantine (y compris le système d'étoiles, initié par Ahmadinejad, pour décrédibiliser les étudiants contestataires) et la censure sur la presse. Il accuse également son gouvernement de se "soustraire à la loi", en ne respectant pas les avis du Parlement et d'autres organes du régime.
Ahmadinejad, lui, réplique en pointant du doigt la corruption des « amis » de Moussavi, notamment l'ex-Président Hachemi Rafsandjani, qu'il accuse d'avoir tiré profit de sa position au sein du régime. "D'ou vient l'argent de votre campagne?", dit-il, à l'attention de son rival.
Mais ce n'est qu'à la fin du débat que la sauce finit par réellement monter. Coup de théâtre : montré du doigt pour avoir soutenu un de ses ministres accusé d'avoir falsifié ses diplômes universitaires, Ahmadinejad contre-attaque, en sortant, devant la caméra, la copie d'un document, où l'on devine la photo de l'épouse de Moussavi, Zahra Rahnavard. "Elle a eu son doctorat sans passer les examens, c'est ça se soustraire à la loi", lance le président.
Soudain, Moussavi se redresse dans son siège. Son visage se raidit, ses paroles s'enflamment. « Vous êtes en train de mener le pays sur la voie de la dictature ! », lâche-t-il. Pour la première fois depuis le début du débat, il regarde son adversaire droit dans les yeux. « Il est inapproprié d'attaquer des personnes sans qu'elles puissent se défendre », poursuit-il, en rappelant que son épouse décrocha son doctorat en sciences politiques au bout de dix longues années d'études. « Moi, je m'attache aux valeurs », poursuit Moussavi, en promettant qu'en cas de victoire, il s'attachera à soutenir le développement industriel, pour créer des emplois. « Votre attitude me rappelle celle des rois Qajar » (19ème siècle ), poursuit-il, en l'accusant de gaspiller l'argent de l'Etat pour gagner la faveur des masses.
Le modérateur annonce la fin du débat. Les deux rivaux affichent des mines fatigués. Il leur reste 9 jours pour séduire leurs électeurs, à coup de textos, de tournées provinciales, de distribution de tracts et posters colorés. En Iran, la campagne électorale n'a jamais été aussi dynamique. Les appels au boycottage, nombreux en 2005, ne sont plus à l'ordre du jour. Devant le siège de la télévision d'Etat, où vient de se dérouler le débat en direct, les supporters des deux clans se disputent à coup de slogans. « Dieu est grand ! Ahmadinejad, nous t'aimons !", hurlent les partisans de l'actuel président. «Ahmadi-bye-bye", répondent les fans de Moussavi.