Je mets en ligne ci-dessous le compte-rendu par Emmanuel Garessus d’un livre de Christopher Caldwell, Reflections on the revolution in Europe, parue dans Le Temps du 3 mai.
Cette « revolution » est celle d’une Europe devenue terre d’immigration. D’après le compte-rendu, ce livre semble écorner quelques mythes immigrationnistes en montrant notamment que la grande masse des immigrés en Europe est inactive et représente une lourde charge pour les Etats et pour la population indigène, que cette dernière est victime d’une véritable colonisation en étant dépossédée de sa culture, l'absence d'assimilation et que l’islam est radicalement incompatible avec les valeurs de l’Europe.
Rien que nous ne sachions déjà bien sûr, mais qu’un livre qui est loin de faire l’apologie béate du multiculturalisme fasse l’objet d’un compte-rendu dans un quotidien de référence tout à fait « idéologiquement conforme » comme Le Temps peut être interprété comme un petit signe encourageant.
Une solution américaine
à l’immigration en Europe?
Analyse
Emmanuel Garessus
L’Europe est pour la première fois de son histoire un continent de migrants. 40 millions d’habitants sont nés dans un autre pays. Plus de 10% du total. L’effet de taille compte énormément, écrit Christopher Caldwell, éditorialiste au Financial Times*. On dénombre 15 à 17 millions de musulmans en Europe. C’est unique dans l’histoire. Et cette immigration constitue le plus grand problème que rencontre l’Europe. Il est frappant de constater le manque de confiance de la démocratie, sa plus importante valeur morale, à le traiter, écrit-il. Si l’Europe accueille davantage d’immigrants que ses citoyens ne le souhaitent, c’est une bonne indication que la démocratie fonctionne mal. Dans ce contexte de «confrontation avec l’islam», il dépeint des Européens de souche qui «se sentent exclus chez eux, victimes d’une OPA culturelle» et propose ses propres pistes.
L’islam a brisé bien des habitudes, structures et institutions de l’Etat. L’immigration, à travers sa main-d’œuvre bon marché, peut être bénéfique à l’économie privée. Pour l’Etat, c’est différent. Les prestations aux immigrés et à leurs familles dépassent leurs contributions. En Allemagne, les indigènes de 20 à 65 ans paient davantage de contributions qu’ils ne font appel aux prestations sociales. Les Turcs d’Allemagne ne le font qu’entre 28 et 57 ans. La tendance n’est pas encourageante. Entre 1971 et 2000, le nombre de résidents étrangers en Allemagne a explosé de 3 à 7,5 millions, mais le nombre d’étrangers actifs s’est maintenu à 2 millions!
L’immigration et l’Etat social se marient mal, selon Caldwell. «Une fois que les immigrés comprennent le système d’Etat social, ils peuvent changer les objectifs des assurances sociales. Au lieu de dépenser les prestations sociales, par exemple en nourriture, l’argent peut financer l’islam. Les deux tiers des imans en France sont à la sécurité sociale», explique Caldwell.
Certes la gestion cohérente des flux de population n’est pas aisée avec une économie globale complexe et les conséquences culturelles qui en résultent. Il ne s’agit pas seulement d’importer des facteurs de production, mais aussi le changement social. Car avec l’immigration de masse, la diversité, la tolérance, le sécularisme sont mis à rude épreuve.
Ces 20 dernières années mettent en lumière l’absence d’assimilation. Caldwell observe même une détérioration avec les nouvelles générations. Des zones de non-droit émergent dans les banlieues. Nicolas Sarkozy est le seul chef d’Etat à condamner les responsables d’émeutes dans les banlieues et non pas le manque de générosité à leur égard. Ce n’est pas à des délinquants de déterminer l’agenda politique. Caldwell approuve avec force. Mais est-il trop tard? Les lois sur la tolérance ont commencé à profiter aux intolérants, dit-il.
Caldwell s’en tient aux faits: 19% des Européens pensent que l’immigration est bonne pour leur pays. Les autres ne sont pas devenus moins généreux envers les immigrés. «Simplement, ils paient la facture». Beaucoup d’Européens sont à la recherche d’une vie meilleure, comme les immigrés. Mais, contrairement à ces derniers, «ils n’ont pas voulu le changement», explique l’auteur. Ils sont pourtant expulsés de la culture de leurs parents. Certaines de leurs traditions sont parfois rejetées sous prétexte que les immigrés musulmans pourraient se sentir exclus. La réciprocité des pays musulmans à l’égard de religion chrétienne n’est pourtant de loin pas garantie.
Pour l’auteur, l’histoire de l’Europe est, depuis la Seconde Guerre mondiale, une histoire d’émancipation à l’égard des Etats-Unis. La création de l’Union européenne s’inscrit dans ce contexte. La solution à l’immigration de masse risque toutefois d’obliger l’Europe à suivre l’exemple américain. Les Etats-Unis sont, en théorie, libres, ouverts et occidentaux. En pratique, «l’Amérique exerce des pressions dignes de Procuste sur les immigrés pour qu’ils se conforment à leur système. Ce sont ces pressions et non son ouverture qui font des Etats-Unis un peuple». L’immigré peut maintenir sa culture ancestrale, mais «si elle l’empêche de parler l’anglais ou d’être à l’heure au travail, il aura faim. Il rentrera dans son pays et personne ne le regrettera». Le modèle américain ne peut toutefois être transposé intégralement. Il résulte de conditions historiques particulières et d’une réforme du système pénal , sous Nixon, destiné à lutter plus férocement contre la drogue. De plus, l’Amérique compte seulement 2 millions de musulmans.
Le problème de base avec l’islam et avec l’immigration tient au fait que les communautés les plus fortes en Europe ne sont pas des communautés européennes», selon Caldwell. Ce problème existe malgré le multiculturalisme des Pays-Bas et la laïcité de la France. L’islam est une religion magnifique, mais ce n’est pas la religion de l’Europe et ce n’est en aucune manière la culture européenne. Il est certain que l’Europe sortira changée de la confrontation. Quand une culture malléable, incertaine et relative rencontre une culture confiante, bien ancrée, renforcée par des doctrines communes, c’est la première qui s’adapte à la seconde.
Reflections on the revolution in Europe, Christopher Caldwell, Allen Lane, 364 pages.
Source : Le Temps, 3 juin 2009