Sous de multiples aspects, le libéralisme du réel s’impose graduellement dans la netosphère. La colonisation de la terra numerica incognita est en voie de finalisation. Elle s’appuie sur les réflexes individuels de l’internaute, l’arrivée de mannes financières et l’organisation d’un état sécuritaire. La blogosphère abandonne ses oripeaux libertaires pour endosser ceux du monde tangible et économique.
Un territoire virginal
Penser que le blogueur est une créature libre c’est faire fausse route. L’histoire commence plutôt bien. Des citoyens s’emparent de la parole publique. L’expression libre émerge en partie sur la défiance envers les conglomérats médiatiques. Dont la probité et la pseudo objectivité laisse le moindre amateur un tantinet curieux, pantois. Elle apparaît aussi sur la valeur intrinsèque des médiateurs de l’information. Qui a côtoyé un journaliste se rend vite compte, qu’il ne comprend pas grand-chose aux assertions qu’il déblatère, qu’il n’est jamais complètement informé, que l’analyse se résume au souvent strict minimum.
Individualisme et évolutionnisme
Le blogueur est, et reste un individu égotique, individualiste quelque soit son identité ou avatar. Au petit jeu de l’influence, c’est d’abord bon enfant, grâce à des classements que s’est amplifié le phénomène d’association libre par le biais de liens. Il en découle un statut d’influent malgré un trafic “epsilonien” (rapporté aux canons médiatiques). Dans cette écologie du don, le partage de sources est l’essence même de l’activité des internautes. Un échange de bons procédés dans un univers participatif.
Le microcosme évolue à grande vitesse. L’environnement endogène des blogueurs voit débarquer les partis politiques et la presse. En moins de deux ans, tous les grands sites de quotidiens hébergent des blogueurs “associés”. Les partis politiques ne rechignent pas à les recevoir. Et, leurs confient même du “off”. L’Elysée accrédite une dizaine de chroniqueurs du web, l’interview “décontractée” du président va inévitablement suivre. Jusqu’ici peu de transactions financières, on assiste surtout à un pillage consenti. L’internaute se satisfait de sa position de sur-citoyen/quasi-journaliste. On paie en reconnaissance et tous s’y retrouvent.
L’hebdomadaire Vendredi déboule en octobre 2008. Il reprend les billets et rémunère. D’égotique et collaborative, le bloguing s’assume rapidement en activité possiblement rétribuée. Fin 2008, c’est l’accélération, B.H.Obama, le président 2.0 est élu, chaque évènement “hype” fait appel à des internautes censés donner un avis décalé de celui, poussiéreux, des journalistes. La presse, le “monde” s’encanaillent.
Un média, une entreprise
Des agences de marketing organisent des techniques de publiblogage en rémunérant les liens obligatoires vers les sites de journaux. C’est le cas par exemple du Courier international, qui paie une poignée d’euros pour voir les articles de son hebdomadaire papier cités et commentés dans des blogs triés sur le volet. Les sites sélectionnés font tous partie des trente premiers du classement (précité). La qualité intrinsèque de chacun n’est pas à discuter. En général tous excellents. L’élément discutable est la valeur pécuniaire qui, dès lors, est accordée à un lien. D’une logique égotique et participative, le système se meut peu à peu en activité intéressée et payante. Certains blogueurs se sont déjà constitués en micro-entrepreneurs. La tendance est là. Irréversible.
Flicage et intérêts particuliers
C’est au même moment que l’état sécuritaire vient fermer la boucle. La loi HADOPI vient réglementer l’échange de fichiers sur Internet. Au secours des multinationales, un arsenal législatif et judiciaire réglemente l’espace web. Dès lors, il devient possible d’être un délinquant sur le web (sans porter atteinte à l’intégrité d’autrui). La LOPPSI 2 se profile. Elle vise à collecter les données personnelles des utilisateurs sans leurs consentements. Comme les caméras dans Paris, s’installent les logiciels espions sur les sites.
La blogosphère évolue, se mercantilise, s’”hygiénise”. Elle est toujours un espace d’expression libre, mais les ferments de la normalisation et du contrôle sont là. Un blogueur conservateur, réaliste s’amuse cyniquement à rétorquer “tu ne pensais quand même pas qu’internet resterait un havre de tranquillité !“.
Vogelsong – 03 juin 2009 – Paris