Grève de la juridiction administrative du 4 juin : le SJA la suspend, pas l’USMA

Publié le 04 juin 2009 par Combatsdh

Par une lettre adressée le 20 mai 2009 à l’ensemble des magistrats administratifs le vice-président du Conseil d’Etat, assumant son rôle de “ministre de la juridiction administrative” (suivant le titre décerné par Pascale Gonod), annonce un certain nombre d’inflexions dans la réforme qu’il a initiée (et qui devrait faire l’objet d’une loi) sur les deux points qui font débat:

- la possibilité de supprimer les conclusions du rapporteur public par décret dans les contentieux où “l’objet du litige ou la nature de la question” le justifierait.

Il est proposé à la place que le rapporteur public continue à examiner tous les dossiers relevant d’une formation collégiale mais que désormais il choisisse lui-même ceux qui sont juridiquement dignes d’intérêt sur lesquels il continuerait à prononcer des conclusions.

- la généralisation du juge unique dans le contentieux des quasi-séries.

Ce projet est abandonné mais trouvera une solution dans le traitement des séries et quasi-séries dans le cadre de l’introduction de l’action collective proposée par le groupe de travail “Bellaval”.

Le Vice-président rassure également les magistrats administratifs sur son projet de juridiction qui ne viserait pas à accroître leur productivité suivant une stricte logique quantitative.

Face à ces annonces, force est de constater que le front syndical se fissure puisque le SJA (majoritaire) vient d’annoncer à ses adhérents qu’il renonçait à l’appel à la grève du 4 juin. Il souhaite ne pas donner pour autant un blanc seing à la réforme et il restera vigilant et mobilisé sur les modalités concrètes de ces réformes.

Témoignent néanmoins du désaccord entre les stratégies des deux syndicats les échanges guère feutrés sous l’appel des petits-pois d’en face du 13 mai de Maître Eolas dans le Journal d’un avocat magistrat administratif en colère le 4 juin (enfin pas tous manifestement).

Quels sont les concessions euh pardon l’état d’avancement des réflexions du Vice-président du Conseil d’Etat suite aux discussions avec les deux syndicats (voir pour des éléments précis le site du SJA)?

MAJ:

  • “LA GREVE AURA BIEN LIEU”, USMA, 29 mai 2009.
  • “GREVE SUITE “, USMA, 29 mai 2009.

Des conclusions sur des dossiers au choix discrétionnaire du rapporteur public

Nous avions interpellé le Vice-président du Conseil d’Etat lors du colloque du 7 mai de l’Association des Juristes de Contentieux de droit Public et du M2 Contentieux Public de l’Université Paris I sur cette mise à l’écart du rapporteur public de plus de 20% du contentieux, principalement celui des étrangers (refus de séjour assortis d’OQTF). Il avait insisté sur le fait que la première décision qu’il avait prise en investissant ses fonctions de Vice-président avait été de maintenir la collégialité du contentieux des étrangers dans le décret du 23 décembre 2006 et qu’il a dans sa carrière de haut-fonctionnaire (DLPAJ, SGG) traité de nombreux dossiers individuels d’étrangers avec bienveillance.

Cela est vrai mais ce décret avait aussi permis le développement des ordonnances de “tri” qui sont parfois utilisées par des  présidents de certaines juridictions pour filtrer une part significative du contentieux des étrangers (alors que l’objectif fixé était de 20% au maximum lors de l’adoption du décret). Les avocats de l’ADDE ont réuni des dizaines de dossiers triés abusivement. Certaines ordonnances ont même été annulées en appel par les CAA et la décision de refus assortie d’OQTF également…

M. Sauvé avait aussi fait valoir que les syndicats étaient en accord avec 95% de la réforme en cours et que sur les deux points litigieux les discussions se poursuivaient mais qu’il n’était pas un marchand de tapis  faisant telle ou telle concession (je caricature sûrement son propos).

Pour lever le malentendu sur le maintien du rôle central du rapporteur public qui est une clef de voûte et une des institutions les plus originales de la juridiction administrative française, le Vice-président annonce qu’il ne serait plus écarté de l’ensemble des contentieux de masse dans lesquels des questions de droit récurrentes ont déjà été tranchées et qui reposent essentiellement sur l’appréciation des faits.

Pour sauver l’institution, tout en préservant le double regard dans certains dossiers,  le rapporteur public serait désormais amené à conclure sur les dossiers… qu’il aura choisis.

En effet, l’ensemble des dossiers continueront à lui être transmis et il lui appartiendra de forger son opinion sur chacun d’entre eux à partir de la note de rapporteur et du projet de jugement et de décider, en concertation avec le rapporteur et le président de la formation de jugement s’il y a lieu de prononcer, ou non, des conclusions.

Autrement dit, les parties découvriront à l’audience - ou sur Sagace quelques jours avant - si leur affaire a suscité l’intérêt du rapporteur public. A défaut elles n’auront pas à solliciter le sens des conclusions puisque de conclusions il n’y en aura point.

Une telle réforme laisse pour le moins dubitatif. Elle va sûrement satisfaire les rapporteurs publics qui, incontestablement, s’essoufflent à devoir préparer et prononcer 30 ou 40 conclusions par audience - et parfois bien davantage en “audience OQTF”. Mais va-t-elle satisfaire le justiciable qui découvrira quelques jours avant l’audience, ou même à l’audience, que son affaire n’est pas (juridiquement) digne d’intérêt?

Je n’ai cessé ici de dénoncer le renforcement d’un contentieux à deux vitesses dans les réformes de ces dernières années. Et bien en voilà une illustration flagrante: il y aurales dossiers qui méritent le double regard et l’expression publique du rapporteur public et ceux qui ne le valent pas.

Comment peut-on imaginer une réforme aussi peu respectueuse de l’égalité entre les justiciables? D’une chambre à l’autre selon les domaines de prédilection des rapporteurs publics ou leur conception des questions qui sont juridiquement importantes, un dossier posant le même type de question de droit pourra faire l’objet, ou non, de conclusions. On imagine déjà l’immense disparité de traitement dans les dossiers que ce choix discrétionnaire va introduire et ce alors même que le double regard du rapporteur public est une garantie essentielle (on peut même se demander si cela ne constitue par un violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6§1 CEDH combiné au principe de non-discrimination de l’article 14 de la CEDH et de la garantie des droits de l’article 16 de la DDHC).

La condition sine qua none pour que cette réforme soit acceptable du point de vue du justiciable serait d’abord de développer à l’audience l’intervention du rapporteur “tout court”, par exemple par lecture intégrale du rapport et même, pourquoi pas, du projet de jugement.

Récemment, Frédéric Rolin me rappelait qu’en 1831 l’institution du commissaire du gouvernement (alors dénommée “maître des requêtes faisant fonction de ministère public“) avait été créée devant le Conseil d’Etat pour ne pas frustrer les parties à l’audience en présence d’une procédure essentiellement écrite.

Or, on perçoit combien les parties vont être frustrées par une audience publique au cours de laquelle à aucun moment on ne leur fournira la solution retenue au cours de la séance d’instruction par la formation de jugement et le raisonnement qui la fonde. Pour ces justiciables qui seront privés de conclusions, va être perdu tout l’acquis des réformes qui depuis l’arrêt Kress permettent de répliquer au commissaire du gouvernement - et, implicitement, sauf conclusions contraires, à la solution retenue au cours de la séance d’instruction.

En outre nous devons avouer que nous ne sommes pas convaincu par l’argument que le rapporteur public ne serait utile que dans les affaires qui appellent à trancher des questions de droit complexes ou nouvelles. Pour une formation de jugement les débats sont souvent bien plus longs et difficiles sur des questions d’appréciation de fait. C’est le cas évidemment en contentieux des étrangers mais aussi dans bien d’autres contentieux (par exemple du licenciement des travailleurs protégés ou de la fonction publique).

Enfin, contrairement à une idée sous-jacente aux réformes du Conseil d’Etat ces dernières années, les contentieux de masse ne posent pas nécessairement les questions juridiques les plus faciles. La preuve en est : le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur plus d’une demi-douzaine de demandes d’avis sur une question de droit depuis l’entrée en vigueur de la réforme des OQTF et je mets au défi n’importe quel membre du Conseil d’Etat d’expliquer simplement à des étudiants en droit le régime transitoire des OQTF tel qu’interprété dans ces avis. Et cette recrudescence d’avis en contentieux des étrangers n’est pas que conjoncturelle : le Conseil d’Etat a été saisi par le TA de Paris d’une autre demande d’avis sur une question de droit en lien avec le contentieux des étrangers malades….

A notre sens, la solution pour désengorger le goulot d’étranglement que représente le rapporteur public dans le circuit du dossier contentieux n’est pas de réduire le champ de son intervention mais de traiter les causes de l’augmentation du contentieux.

Pour le contentieux des étrangers, nul n’ignore pourquoi il connaît une croissance soutenue et on attend soit l’abandon des objectifs chiffrés (45 000 OQTF dont 4% d’exécutées! 16 000 APRF!), soit au moins l’obligation d’un contradictoire préalable avant la décision de séjour négative ou, au moins, d’un recours administratif préalable obligatoire suspensif de la décision de la décision de refus de renouvellement ou de retrait du titre de séjour. On pourrait aussi évoquer le contentieux de la fonction publique, du permis à point, du RSA, des aides au logement, des radiations à l’assurance chômage ou encore de l’usine à gaz de DALO (qui pourrait même avec la liquidation des astreintes devenir une centrale nucléaire en fission avec des réactions en chaîne que le légsilateur ne semble pas avoir appréhendé).

On constate donc que sur la question du rapporteur public, de nombreuses incertitudes persistent sur les garanties réelles offertes aux justiciables.

La solution retenue semble d’autant plus critiquable qu’elle fait totalement abstraction de l’épée de Damoclès pesant sur l’existence même du rapporteur public du fait de l’absence de transmission de la note de rapporteur, du projet de jugement aux parties alors que ces pièces sont communiquées au rapporteur public et qu’il participe à la séance d’instruction. Il serait temps de prendre au sérieux cette menace de condamnation de la France par la Cour européenne dans l’affaire UFC Que Choisir de Côte d’Or. Le pire n’est jamais sûr a répondu M. Arrighi de Casanova au colloque du 7 mai. Mais encore faudrait-il l’anticiper suffisamment pour que le rapporteur public ne soit “silmane-kaidisé”

L’abandon de la généralisation du juge unique dans les quasi-séries

-  Deuxième concession évolution de la réflexion du vice-président: il renonce à l’extension de la compétence du juge unique aux quasi-séries. Il s’agissait de confier au juge unique le règlement de dossiers qui sans être une série au sens de l’article R.222-1, 6° pouvait néanmoins être réglé dans la mesure où même si les faits sont distincts le problème de droit a déjà trouvé sa solution en formation collégiale.

On se rappelle qu’en 2005, le groupe de travail présidé par M. Chabanol avait déjà proposé de développer les séries dans ce cas d’identité de la question de droit même si les faits n’étaient pas identiques (voir ce projet de 20005 ici dans un communiqué USMA que Frédéric Rolin avait appelé la “loi des séries”) . Ce projet avait été alors partiellement abandonné (voir la rédaction actuelle du R222.-1, 6° du CJA sur les séries qui prévoit que les ordonnances de séries ne peuvent être rendues que si cela suppose de ne pas procéder à une “nouvelle appréciation ou qualification de faits“).

Le Vice-président abandonne donc ce projet qui devrait dans l’avenir trouver sa  solution dans le cadre de la création d’une action collective devant la juridiction administrative qui vise notamment à traiter les séries et quasi-séries.

- Par ailleurs, comme cela avait aussi été évoqué dans le colloque du 7 mai sur une question Me Rémi Rouquette, certains contentieux actuellement en juge unique avec rapporteur public, comme une partie du contentieux de la fonction publique, pourraientdati

revenir dans le giron de la formation collégiale (v. article R. 222-13 du CJA ). En effet ces contentieux ne peuvent faire l’objet d’un appel car le juge unique statue en premier et dernier ressort et la seule voie de recours est le pourvoi en cassation- ce qui est parfois problématique (R.811-1 CJA).

Sans vouloir prendre part à la controverse syndicale sur la question de savoir s’il fallait -ou non - maintenir le mouvement de grève du 4 juin, on ne peut que constater que les concessions du Vice-président du Conseil d’Etat ne paraissent pas totalement satisfaisantes quant au maintien des garanties apportées aux justiciables  dans les contentieux de masse.

La grève est-il le meilleur moyen d’action? L’enseignant chercheur qui ressort dépité de plusieurs mois de mobilisations sans avancée majeure sur l’avenir de l’Université n’a guère de légitimité à fournir une réponse.

C’est pourquoi je renouvelle l’invitation à en débattre le Mercredi 3 juin à 17h, avec des représentants des deux syndicats, Johann Morri et Axel Barlerin et les professeurs Champeil-Desplats, Rolin et Gonod à Nanterre. Car ce séminaire n’est pas annulé ni, je crois, l’appel des petits pois d’en face de Maître Eolas le 4 juin.

L’USMA appelle toujours à la grève et un moratoire sur la réforme.

D’ailleurs les membres des juridictions administratives - magistrats, personnels de greffe, AJ, assistants du contentieux, stagiaires - sont également invités à s’exprimer ici sous ce billet comme cela a toujours été le cas depuis la création de Combats pour les droits de l’homme. Il ne s’agit pas de critiquer l’ensemble d’une réforme qui me semble particulièrement indispensable et pertinente mais de veiller à ce qu’elle puisse être faite en conciliant qualité de la justice et garanties apportées aux justiciables, à tous les justiciables, y compris les plus précaires.

[NB: voir le discours de la vraie ministre de la justice administrative, le Garde des Sceaux, Rachida Dati, le 23  février 2009 à Toulon d’une platitude absolue niveau-M1 de droit public - et encore]

—-

  • “LA GREVE AURA BIEN LIEU”, USMA, 29 mai 2009.
  • “GREVE SUITE “, USMA, 29 mai 2009.

(…)

“Le conseil syndical a toutefois estimé, à l’unanimité, que la proposition qui nous était faite sur le rapporteur public posait bien plus de problèmes qu’elle n’en résolvait.

En effet :

- ce sont les politiques publiques et l’absence de moyens qui sont à l’origine des difficultés rencontrées par les rapporteurs publics ; si nous admettons, aujourd’hui, de mettre le doigt dans l’engrenage d’une disparition progressive du rapporteur public, ce sont d’autres politiques publiques et d’autres contraintes qui, demain, nous obligeront à de nouveaux reculs ;

  il n’est pas juste de demander aux juridictions de réformer un système qui a fait ses preuves pour pallier les insuffisances du ministère de l’intérieur dans la gestion du problème posé par les permis à points ainsi que dans la réflexion sur les conséquences de la loi de juillet 2006 (OQTF) sur l’organisation des juridictions ;

- le retour à une organisation des chambres avec deux rapporteurs en TA et trois en CAA limiterait, de facto, les conséquences de l’afflux de contentieux en matière d’OQTF ;

  nous constatons qu’actuellement, si le système est proche de ses limites, il reste praticable, à tout le moins dans les juridictions où les décisions prises visent à faire vivre l’organisation de la juridiction à droit procédural constant, ce qui semble être de moins en moins le cas en Ile de France ; dès lors renoncer à un principe aussi utile et structurant pour la juridiction administrative que la présence du rapporteur public dans tous les contentieux, plutôt que, là où le volume de contentieux obère sérieusement les conditions de travail des collègues, de réfléchir à une autre organisation, permettant de concilier ce principe avec les contraintes statistiques, ne nous paraît pas une solution souhaitable ) ;

  dès lors, les problèmes posés par les OQTF et les permis à points n’étant pas les mêmes selon la taille et la localisation des juridictions, c’est localement, dans chaque projet de juridiction, que devrait être traitée la question de la place du rapporteur public dans les contentieux OQTF et permis à points, plutôt que par une mesure à caractère général sur l’ensemble du territoire.

S’agissant par ailleurs du mécanisme envisagé relativement au rapporteur public :

  les expériences passées ont montré qu’un système comme celui qui nous est proposé ne peut fonctionner correctement ; aucun mécanisme ne peut réellement garantir que, dans quelques mois, sous la pression des statistiques et de l’organisation de la juridiction, les rapporteurs publics ne soient contraints de renoncer à conclure dans une écrasante majorité de dossiers ;

- faire peser sur un seul magistrat la responsabilité de conclure ou de ne pas le faire, fera naître de fortes tensions dans les juridictions entre collègues ainsi que vis à vis des parties, à l’audience ;

  il est impossible d’expliquer sereinement aux requérants pourquoi certains d’entre eux bénéficieront de conclusions et d’autres pas et pourquoi, dans le nouveau système où les parties répondent au RP, certaines d’entre elles vont être privées de cette possibilité sur simple décision du juge.

De nombreux collègues nous ont d’ailleurs fait part de ce que la nouvelle position du Conseil d’Etat sur le rapporteur public … leur paraissait bien plus mauvaise que celle initialement envisagée !

Dans ces conditions, l’USMA a contacté le Secrétaire général, jeudi 27 mai, pour lui adresser une proposition tenant compte de l’officialisation de la position du Conseil d’Etat par le courriel du 25 mai.

En effet le Vice-président, sans doute conscient des difficultés que nous venons d’évoquer, affirme, à propos de sa proposition sur le rapporteur public, que “cette réflexion doit, toutefois, être approfondie et le temps nécessaire à l’adoption de la disposition législative doit être mis à profit à cet effet”.

De fait, nous pensons qu’une telle réflexion doit pouvoir se dérouler sereinement, a fortiori sur une proposition qui n’a jamais été débattue jusqu’alors.

Dès lors, le conseil syndical de l’USMA demande au Conseil d’Etat de renoncer à faire passer la réforme dès le mois de juin par le biais d’un amendement parlementaire proposant d’habiliter le gouvernement à légiférer et d’en reporter l’examen, devant le Parlement, à l’automne.

Si cette garantie nous était adressée avant le 3 juin, nous lèverions l’appel à la grève lancé pour le 4 juin prochain.”

mai 30, 2009 @ 12:37