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HADOPI : à qui profite le crime ?

Publié le 03 juin 2009 par Anakyne

En tant qu'auteur (à mon très humble niveau) je suis bien évidemment opposé au piratage des oeuvres culturelles. A condition qu'on soit d'accord sur la définition de "piratage". Et aussi de culture. Pas sûr qu'on parle vraiment de ça, avec la loi dite HADOPI.

En tant que citoyen, j'ai du mal à me faire à l'idée que, dans un monde moderne axé sur la communication globale et la mondialisation, on en soit encore au stade de pondre une loi mal fichue pour prétendre éradiquer un problème qu'un simple ajustement commercial aurait pu résoudre.

En tant qu'internaute averti, cette mesure me fait doucement sourire tandis que je songe à tout ce qui la sépare de la réalité du Net, pauvre petite loi désuète qui voulait marquer l'histoire de son empreinte purificatrice... et qui va finalement se retrouver aussi seule et inefficace qu'un radar automatique au fond d'une impasse.

En tant que consommateur enfin, je pressens que l'objectif est de me faire payer quelque chose au final, probablement à ceux qui auront su habilement jouer sur les deux tableaux : affichant une solidarité de façade avec les tenants du téléchargement libre, et signant plus discrètement des accords pour récolter les fruits d'une nouvelle orientation du marché qui ne dit pas son nom.

Mais reprenons dans l'ordre.

Le piratage est un fléau, je suis le premier à le réprouver et à considérer que nul ne devrait voir son travail pillé ou détourné par autrui. Le souci c'est que la loi dite HADOPI (du nom de la haute autorité censée appliquer les nouvelles directives en matière de lutte contre le piratage) ne s'intéresse finalement qu'à la protection des intérêts des fabriquants de culture en boite, les "majors" de musique vendue au kilo et autres studios pourvoyeurs d'images à la louche. Comme si la culture (et sa protection) se limitait à la production musicale et cinématographique. Mais bon, passons...

Edicter une loi qui prétendrait régir un marché comme celui de la diffusion des oeuvres numériques, c'est un peu comme essayer de nettoyer un fleuve en plongeant une passoire dans le courant. C'est tout simplement ridicule. Politiquement, c'est un retour à des valeurs révolues depuis au moins trente ans. Techniquement, ça revient à nier l'évolution constante du web qui a déjà dépassé le stade technologique sur lequel la loi s'est cristallisée. Il n'y a pas d'instant présent sur le Net ; il n'y a qu'un avenir en marche constante. Se fixer sur un état des lieux à un instant "t", c'est assurément se faire distancer par le progrès.

Ceci dit, s'il est prévisible que cette loi n'aura aucun effet dans la réalité, il est en revanche évident qu'elle va permettre à certains acteurs du Web de générer quelques profits substantiels. A commencer par les FAI, lesquels ont été contraints de conserver un certain nombre de données sur leurs abonnés. Ce qui engendre évidemment de nombreux coûts que l'Etat n'avait pas prévu de compenser. Qu'à cela ne tienne, les opérateurs ont accepté de mettre la main à la poche (pour payer par exemple les serveurs chargés de conserver les téraoctets de données sur nos pérégrinations en ligne), à condition toutefois de pouvoir exploiter commercialement lesdites données. En gros, ce qu'on leur refusait depuis des lustres, la loi vient tout bonnement de le leur apporter sur un plateau, histoire d'avoir leur collaboration pleine et entière.

Autre source prochaine de profit pour les opérateurs, l'abonnement spécial "téléchargement illimité". A l'instar de Neuf Telecom qui propose déjà un abonnement mensuel de 5 euros pour avoir le droit d'écouter de la musique sans contrainte (en streaming, ou diffusion continue), on peut tout à fait prévoir de nouvelles offres qui nous permettront de choisir et de visionner autant de DVD qu'on souhaitera... contre un forfait mensuel qui s'ajoutera bien évidemment à notre abonnement internet classique. De telles offres de streaming payant sont d'ailleurs déjà à l'étude ici ou là. L'été sera chaud.

N'oublions pas enfin ceux qui offrent déjà des accès anonymes (et payants !) à des plateformes de téléchargement illimité, via des serveurs situés à l'étranger, et qui vont voir leur chiffre d'affaires grimper en flèche grâce aux velléités législatrices d'un Etat qui manque de conseillers efficaces en matière d'économie numérique.

Néanmoins, il restera toujours la possibilité à ceux qui le souhaitent de continuer à consommer de la musique ou du cinéma en ligne sans débourser un centime. Qu'il s'agisse de sites en streaming audio ou vidéo, comme Deezer ou Allostreaming, de réseaux "F2F" (comprenez "Friend To Friend") totalement privés dans lesquels on s'invite nominativement et à travers lesquels on s'échange de manière totalement étanche toutes sortes de documents (y compris vidéos ou musicaux), ou encore de téléchargement par lien direct sur des serveurs situés bien sûr en dehors de la législation Française, la transmission libre de films ou de musique entre les internautes a encore de beaux jours devant elle.

D'autant plus que la loi HADOPI ne devrait pas être opérationnelle avant 2011, et devant l'énormité de la tâche qui attend cette Haute Autorité, on peut compter sur de nombreux prestataires pour venir alors proposer leurs services afin d'aider à l'envoi de dizaines de milliers d'emails par jour, collecter des données de plus en plus précises sur ces chers internautes (sous couvert de sécurité électronique of course) et surtout adapter leurs autres offres commerciales en fonction du ciblage comportemental que toute cette manne numérique leur aura permis d'opérer. Bref, encore pas mal de profits en perspective grâce à cette loi. Chouette, non ?!


Sources MOTEURZINE

Mon commentaire :
excellent article, bravissimo à l'auteur. Article objectif indiscutablement.


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