Avant la fermeture du Cour Cambronne, que j’évoquais lundi, si le flâneur veut oublier la rumeur de la ville, les klaxons de la Place Graslin, il franchit les hautes grilles du Cour Cambronne et il pénètre dans cet étrange endroit du centre ville, sorte de Jardin des Plantes inattendu. Avançons sur le sable, entre les tilleuls, quelques jours avant le passage à l’heure d’été, quand il fait encore suffisament nuit. Quelques fenêtres commencent à s’allumer comme dans le poème de Baudelaire :
« Celui qui regarde du dehors à travers une
fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus
fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui
se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais.
Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste,
avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous: "Es-tu sûr que cette légende soit la vraie?"
Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors
de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis? »