Laissons pour une fois de côté la littérature pour nous pencher sur l'utilité ou l'inutilité de l'élection européenne du 07.06.09. Voilà une question qui mérite en effet d'être posée.
Nous vivons, nous dit-on, en démocratie. Nous devrions en être fiers. Pourquoi, dès lors, le taux d'abstention à l'élection européenne est-il passé de 37% à 54% ces dernières années ? Il y a à cela pas mal d'explications.
Tout d'abord, dans chaque pays, on retrouve comme candidats des politiciens bien connus qui ont souvent déjà fait preuve de leur incompétence ou qui en tout cas ont fini par lasser.
Ensuite, le résultat de ces élections est connu à l'avance puisque le citoyen moyen a peu de chance de voir sa vie quotidienne s'améliorer d'une manière ou d'une autre suite à son vote. Quand il s'agit d'un scrutin local (communal) ou national, les enjeux sont plus directs et l'électeur veut bien se déplacer pour que sa tendance politique soit représentée (ou pour que la tendance qu'il déteste ne le soit pas, comme on a pu le voir lors de l'élection présidentielle qui, au second tour, opposait Chirac et Le Penn). Mais ici, vu la grandeur du territoire occupé par l'Union, il est clair que les quelques députés que chaque pays va élire vont être noyés dans la masse. Dès lors, la voix d'un citoyen ne représente quasi-rien et il préfère donc s'abstenir. Ceci est encore plus vrai si le pays est petit (Lituanie, Slovénie, Luxembourg).
De toute façon, qu'on vote à droite ou à gauche, à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, il semble bien que rien ne change dans la politique de l'Union, laquelle poursuit la même ligne de conduite depuis ses origines : favoriser les échanges commerciaux et donc permettre à quelques-uns de s'enrichir plus facilement. L'Europe sociale ou l'Europe des citoyens, c'est toujours pour demain. Tout le monde la souhaite mais on ne la voit pas arriver. En attendant, chaque état a perdu une grande partie de ses compétences au profit de l'Union. Ce que le citoyen moyen retient c'est que l'entreprise dans laquelle il travaille peut maintenant faire venir légalement de la main d'œuvre polonaise (par exemple) et même la payer au prix qu'on paie en Pologne les travailleurs polonais (comme un récent arrêt de la Cour de Justice de Luxembourg vient de l'établir). Pour le travailleur français qui recherche un emploi, cela signifie qu'il va bientôt devoir accepter un emploi moins bien rémunéré, sinon on lui préférera un autre travailleur de l'Union. Quand les syndicats se mettent en grève contre ce genre de pratique comme cela a été le cas récemment en Angleterre, on leur reproche une attitude raciste, ce qui fragilise déjà beaucoup le bien fondé de leurs revendications. Le procédé est habile. Ce sont donc maintenant les petits qui se disputent entre eux, pour le plus grand plaisir du patronat qui lui, magnanime et pas raciste pour un sous, n'hésite pas à embaucher de la main d'œuvre roumaine ou bulgare, surtout si elle coûte moins chère. Il est même tellement magnanime, ce patronat, qu'il est même prêt à délocaliser une partie de ses centres de production vers ces pays pauvres dans le seul but de relancer leur économie moribonde, mise à mal par cinquante années de régime communiste. On reste confondu devant autant de philanthropie.
Une autre cause du désintérêt du citoyen pour cette Europe qui se construit sans son accord (et même malgré son désaccord puisque personne n'a tenu compte des « non » français, hollandais et irlandais au projet de constitution néo-libéral qui nous propose les échanges commerciaux comme principe idéologique et comme seule valeur de la personne humaine) c'est que du point de vue politique l'élection se fait sur le plan national. Je veux dire par-là qu'il n'existe pas par exemple un parti socialiste européen (mais on aurait bien peur de voir naître un jour un tel mammouth). Les socialistes français votent pour des socialistes français et les Espagnols ou les Allemands font la même chose. Entre eux, aucun accord. Ils n'est même pas sûr qu'ils envisagent de suivre la même politique. Autrement dit, nous sommes en présence de vingt-sept petits scrutins nationaux avec des enjeux internes et aucun parti ne propose une vue d'ensemble sur ce que devrait être l'Europe.
Il serait grand temps pourtant de voir les syndicats défendre nos intérêts sur le plan européen. Aujourd'hui, se mettre en grève quand on licencie du personnel en France (parce que des managers ont hypothéqué la survie d'une entreprise en jouant en bourse ou parce qu'ils ont voulu racheter un concurrent alors qu'ils n'en avaient pas les moyens) est suicidaire car on prend prétexte de ce mécontentement social pour tout fermer et délocaliser sous d'autres cieux. Il faudrait donc que la défense des travailleurs se fasse sur le plan européen, ce qui est loin d'être le cas. C'est pourtant bien ce qui se passe pour le patronat, puisque les frontières sont ouvertes à tous les mouvements de capitaux. Encore qu'il convienne de nuancer cette dernière affirmation. Tant qu'il s'agit de s'étendre, les firmes semblent avoir une vocation européenne bien ancrée, mais quand les choses tournent mal, on les voit se replier sur leur pays d'origine. Ainsi en va-t-il de ces firmes allemandes qui ferment d'abord leurs succursales françaises afin de préserver la maison mère allemande. On ne va pas le leur reprocher, Renault avait fait la même chose il y a quelques années en fermant d'abord son site de la banlieue de Bruxelles avant de restructurer en France même (mais tout en ayant déjà un regard pointé sur les anciens pays de l'Est).
L'Union est tellement grande qu'aucun citoyen ne sait ce qui se passe dans les pays voisins. Si un Français a une vague connaissance de la politique allemande ou espagnole, qui peut se targuer de connaître les enjeux en Slovénie ou en Bulgarie ? Personne, évidemment. Du coup, au lendemain du vote, on découvrira peut-être avec étonnement que ces pays ont pris une position qui va à l'encontre de celle que nous aurons prise nous, court-circuitant dès lors notre propre choix. Pourquoi, dès lors, se déplacer encore pour aller voter ?
A côté de cela, vous avez les calculs électoraux des partis, qui décident de parachuter tel candidat du Nord dans le Sud-Ouest ou le contraire (j'invente) afin d'attirer des voix. Ces politiciens-là sont certains d'être élus, ce qui fait que l'électeur a perdu en fait son pouvoir de sanctionner les erreurs commises dans le passé par ledit politicien.
De plus, pour couronner le tout, si le clivage gauche-droite a souvent un sens dans la vie politique nationale, il ne semble pas en aller de même à Strasbourg. A-t-on jamais entendu que des débats houleux s'étaient poursuivis plusieurs jours dans l'hémicycle des députés ? Non, car en fait ils semblent tous d'accord entre eux, même s'ils ne sont pas de la même tendance politique. Cette apathie bien réelle s'explique par le fait que le Parlement ne décide à peu près rien, contrairement à ce qu'on nous dit et que c'est la Commission qui tient les rênes du pouvoir. Dans cette Commission, où sont présents des observateurs des Etats-Unis et même d'Israël (grâce à l'intervention récente de MM Sarkozy et Kouchner), on règle surtout les grands problèmes économiques et on ne se penche pas vraiment sur les problèmes sociaux des citoyens. Faut-il s'étonner, dès lors, que ceux-ci marquent un tel désintérêt pour ces élections ? La solution, certains pays l'ont trouvée, comme la Belgique, qui rend le vote obligatoire (pour les élections communales, régionales, nationales ou européennes). Là, en quelque sorte, on est obligé d'être libre et de manifester son choix. Que voilà une manière habile d'avoir des citoyens motivés puisqu'on aura cent pour cent de participation ! Il est vrai que le siège de la Commission est à Bruxelles et que la petite Belgique ne pouvait pas faire moins.