Si vous n’êtes pas familiers avec les travaux des sorciers autrichiens Peter Kruder et Richard Dorfmeister, je ne saurais trop vous recommander d’acquérir The K&D Sessions, double CD mixé qui reste l’une des pièces maîtresses du downtempo des 90’s. En véritables designers sonores, les Viennois y traitaient et remodelaient des morceaux d’artistes aussi divers que Depeche Mode, Roni Size ou Bone Thugs-N-Harmony et réalisaient le mix de chill parfait, mariant les volutes du dub aux beats hip-hop et drum n’bass. Depuis, leur temps s’est partagé entre leurs différents projets personnels (Tosca, Peace Orchestra...), la réalisation d’un nombre considérable de remixes, et la gestion de leur label G-Stone, fondé en 1993.
Pour ce premier volume des G-Stone Master Series (sortie le 12 juin), Kruder nous donne un aperçu de sa collection privée, qui compte plus de 35000 vinyles. Le sous-titre “Classics from my living room and bedroom” nous informe d’emblée que ce mix ne s’écarte pas de la ligne directrice qui a été celle du duo depuis ses débuts : donner matière à scotcher et à rêver avec les sons les plus ouatés et méditatifs. Les titres choisis vont du plus rare, voire introuvable, au plus connu, et sont mixés avec subtilité et discrétion, sans effets tapageurs. Le disque commence dans une ambiance post-rock avec un enchaînement Talk Talk/Tortoise à tomber par terre. Repris il y a peu par Shearwater (en face B du single de “Rooks”), “The Rainbow” de Talk Talk est un pur chef-d’oeuvre où s’imbriquent piano, guitares, violons et harmonica dans une atmosphère hindouisante et organique. Beaucoup moins connu que “Such A Shame” et toute leur période new-wave, c’est un extrait du meilleur disque des britanniques, Spirit of Eden (1988), qui rappelle combien ce groupe est aujourd’hui sous-estimé.
Les guitares s’amplifient légèrement pour “On the Chin” de Tortoise, accompagnées par le vibraphone qui constitue l’une des marques de fabrique du groupe. On retrouvera l’instrument à plusieurs reprises sur les plages suivantes, notamment sur le très smooth “Enchanted Lady” de Milt Jackson. Il y a bien quelques faiblesses dans cette sélection, comme le “Sweet Butterfly” de Charles Webster, où la voix irritante de Del St Joseph gâche quelque peu le superbe instrumental. Mais comment ne pas célébrer l’éclectisme de cette Private Collection réunissant Tom Waits et Japan, Jan Hammer et Chateau Flight ? Et comment ne pas succomber aux percussions mélodiques d’”Adrien”, du Gong époque Pierre Moerlen, où résonnent les gazouillis enfantins du fils du musicien, actuel leader de l’excellent groupe strasbourgeois Crocodiles ? Ou au “Here We Go” de Jon Brion, bijou de pop-song beatlesienne toute de cordes parée ? On n’en voudra pas non plus à Kruder d’avoir inséré deux de ses travaux dans cette sélection certes pas révolutionnaire, mais diablement élégante et réconfortante.
En bref : ambient, pop, post-rock ou jazz, peu importe l’étiquette tant qu’il y a matière à scotcher. Encore une superbe compilation, douce comme une caresse, de la part du maître autrichien du genre.
Le site de G-Stone
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Le morceau d’ouverture de la compilation, “The Rainbow”, de Talk Talk :