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Aimer la ville, un défi à Fairbanks (Alaska) comme à Nouméa

Publié le 02 juin 2009 par Servefa

Au milieu de l’Alaska, Fairbanks ressemble à ce que serait un Nouméa sans contrainte topographique et si les décideurs se laissaient aller aux aspirations individualistes des citoyens. Pour sûr, Fairbanks ne connaît pas la congestion automobile et il semble aisé de toujours se rendre d’un point à un autre (même si, finalement, avec les distances à parcourir, chaque trajet prend toujours environ 20 minutes). Ainsi, un voyage à Fairbanks est un voyage au milieu des pick-ups en tout genre, toujours plus gros, plus imposant, plus disposés à affronter les chemins pour aller pêcher sur une des belles rivières alentours. Car elle est aimée Dame Nature à Fairbanks, du haut de son Chevy Colorado on l’apprécie allègrement et on se dit qu’on a de la chance d’être là et qu’il est bien triste que le climat change si vite, provoquant des inondations, dues à la fonte des glaces et, donc au réchauffement climatique. La Nature est aimée et, à coup sûr, la ville rejetée. Car peut-on seulement appeler cela une ville, quelques immenses rues perpendiculaires qui se croisent, des terrains vagues, des parkings, et des banques. Il y a bien longtemps que l’aspiration à la maison individuelle, dans un bois charmant, accessible grâce à son beau 4x4, a tué cette ville. Jour après jour, un désert. Même le dimanche à Nouméa ne me fait pas cet effet. Tout autour, des « highways » en pagaille qu’il n’y a pas assez de voitures pour les remplir, des centres commerciaux, des stations services, et des restaurants appartenant à des chaînes nationales ou internationales. Peu d’insolite, de caractère, de charme, aucune âme. Fairbanks serait dans le Colorado, ou l’Arkansas, cela n’y changerait rien.

Le Centre-Ville, malgré une association de défense du patrimoine local, surf sur la même vague : un hôtel, des parkings, deux banques, un immeuble de logement social, une place publique bourrée d’inscriptions que même les touristes ne lisent pas, une impression morne, espace oublié, inoccupé, à peine bon pour bosser. Et au milieu coule une rivière, la Chena River, que la municipalité a tenté tant bien que mal d’aménager, et même plutôt bien ! Des parcs, des statues, des bancs, tout cela est bien charmant ! Mais voilà, la vie se passe plus sur la rivière, où les bateaux, kayaks et canoës se suivent, que sur ces berges où quelques « natives » se saoulent de bières au pied d’une œuvre représentant les derniers grands chefs indiens des lieux. Finalement, ces berges sont un peu comme les quais de Nouméa : des refuges à soulards, et des parkings (quoique les sculptures n’ont pas subi l’outrage de dégradations à Fairbanks).

Le centre de Fairbanks: peu d'âmes qui vivent au milieu des parkings...

Les parcs de stationnements sont parfois déserts (mais non moins esthétiquement habillés) tant l'offre est plus importante que la demande

Tout cela me fait finalement beaucoup penser à la problématique urbaine en Nouvelle-Calédonie : construire la ville pour des citoyens qui, finalement, la rejettent. La tentation du tout-automobile constitue alors une évidence. Entrer dans la ville pour en ressortir le plus vite possible, travailler à la ville pour s’en extraire avec vitesse, jouir un peu de la ville mais surtout de la campagne.

A Fairbanks, la ville est entourée d'autoroutes (flèches rouges) et pénétrée par une artère importante (flèche bleue), mais aucune voie, d'au moins 12m de largeur roulable, ne fait obstacle à la circulation automobile.

Mais, même à Fairbanks, ce rêve voit danser la lueur boréale de sa fin, de ses fins. La première de ces fins les habitants de Fairbanks l’ont entrevu l’année passée lorsque la valeur du baril de pétrole s’est enfuie dans les vapeurs de l’éther pour friser les $150 USD. Les kilomètres avalés avec indolence ont alors pris l’allure de saignée dans le budget des ménages moyens, offrant, le temps de l’ombre d’un soupir, le doute que ce mode de vie n’était, finalement, pas bien sérieux. La deuxième fin touche à l’environnement que ces chers alaskiens chérissent. Jusqu’où la schizophrénie de jouir d’une nature, de craindre pour elle, tout en l’étouffant à petit feu ? Comment pleurer la fonte des glaciers alors que vrombit sous le capot de son auto un gargantua de l’essence qui relâche son haleine pestilentielle dans l’atmosphère ? Une troisième fin a trait à la gestion des risques : le réchauffement climatique conduit à des incendies de forêt toujours plus virulents et les maisons idylliques calfeutrées dans les bois sont des cibles bien difficiles à défendre. Enfin, la dernière fin, la mort d’une ville qui a conduit les hommes à s’enrichir de leurs différences, même s’il est indéniable que la ville fut toujours une formidable machine à ségréger, elle n’en a pas moins été un incroyable lieu de création, berceau de biens des arts, de biens des sciences – même Diogène vivait en ville ! -, véritable catalyseur de l’intelligence humaine.

Non seulement Nouméa n’a pas le luxe des grands espaces de Fairbanks, ni même sa richesse, le nickel calédonien n’est pas le pétrole alaskien !, mais elle doit en outre gérer une forte croissance urbaine et contribuer à devenir le symbole d’un lieu qui se cherche des valeurs communes et partagées. L’individualisme mortifère des villes américaines, tel qu’il apparaît dans les schémas épurés et dépourvus de la complexité des grandes villes et métropoles, à Fairbanks, ne saurait constituer un exemple.

Le travail de l’urbaniste ne consiste alors pas à tracer à grands coups de crayon les quartiers et les villes de demain, lotisseurs et élus auront toujours un tour d’avance sur lui, mais bien d’expliquer, de communiquer, d’enseigner, de montrer aux professionnels, aux décideurs et surtout à ceux qui constituent la demande en logement, les citoyens, qu’il convient d’abandonner ses rêves de soliloques libres pour de nouveaux espoirs de vie collective respectueuse, d’oublier un peu l’EGOïsme pour promouvoir l’ECOlogie. Mais il ne suffit pas de tenir ce type de discours moralisateurs et bien-pensants qui ne feront qu’augmenter la mauvaise conscience des plus vertueux d’entre-nous. Le véritable défi devient alors de faire aimer la ville à ceux-ci, manifestement une grande majorité, qui s’offrent plus volontiers à la campagne, à sa quiétude, à ses espaces plus ou moins sauvages : offrir le goût d’une ville compacte, d’une ville urbaine, suis-je tenté d’écrire comme pléonasme, à l’âme champêtre. Mais il ne sert à rien de se cantonner à ces discours moralisateurs emplis de bonnes pensées, il s’agit aussi de cerner les aspirations des habitants et de savoir les concilier avec les nécessités environnementales, au-delà du verbe, le métier d’urbaniste restera donc toujours de contribuer à la création sans cesse renouvelée des lieux de rencontre des hommes. Car bien évidemment il reste joliment agréable de sentir la liberté de se déplacer absolument comme on le souhaite en voiture. Certains penseurs américains, dont j'ai ici oublié le nom, ont même associé l'extraordinaire libération de l'espace associée à l'automobile aux fondements de la démocrati,e finalement dans la droite lignée du Public Choice et de l'association de l'idée démocratique à celle du choix.

Afin de sortir de cette sorte de négation de la ville, mais est-ce vraiment le cas ?, telle que constitué par ces villes façonnées de routes et de parkings que j’observe en Amérique du Nord, il serait donc de bon ton que la profession d’urbaniste prenne plus de voix et d’ampleur en Nouvelle-Calédonie, au lieu de se cantonner à une sphère prétendument technique.

François


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