C’est presque une dérive intérieure que cette « Odyssée américaine ». Un texte à hauteur d’homme, comme tous les romans de Jim Harrisson. Moins sombre qu’il n’y paraît (car il y a le temps qui passe, et l’amour n’est jamais guère plus qu’une promesse). Un voyage à travers les Etats Unis, prétexte à se débarrasser d’un puzzle dont chaque pièce est un des 50 états américains. On finirait par s’y perdre s’il n’y avait, sur la route, un paquet d’illusions à solder. Et cette curiosité envers le monde. Toujours renouvelée. Une leçon. "Je n'avais pas bougé, sinon pour respirer, et le loriot est bientôt descendu jusqu'à une branche inférieure située à moins de trois mètres de ma tête. Mon cœur palpitait au rythme des ailes de l'oiseau. Je savais que les loriots aiment le raisin et je me suis demandé si, pour mon visiteur, les boutons de ma chemise ne ressemblaient pas à des grains de raisin. Si je disais « Salut », l'oiseau s'envolerait. J'ai décidé de rester immobile aussi longtemps que le loriot demeurerait posé là et que la tâche agréable consistant à attendre son bon vouloir serait tout ce que je pourrais accomplir pour le moment. Notre monde s'était remodelé au point que seuls quelques êtres supérieurs étaient capables de soutenir sa cadence. De toute évidence, je ne faisais pas partie de ces gens-là. Le loriot aux couleurs presque criardes m'a rappelé l'époque où j'étais un malheureux étudiant de deuxième année qui nourrissait des pensées trop pesantes pour sa tête fragile. Durant près d'un mois j'ai été proche d'un poète étudiant de mon âge. Il appréciait ma compagnie à la cafétéria parce que je lui prêtais une oreille complaisante. II lui semblait se situer au-delà du mouvement hippie, être « un voyageur spatial et solitaire dans l'histoire de la poésie mondiale ». Il n'avait pas un sou vaillant et sortait parfois de son sac à dos une conserve de spaghettis franco-américaine, qu'il ouvrait avec son couteau de l'armée suisse. Plutôt beau garçon, il était souvent accompagné par quelques étudiantes. Il affectionnait les T-shirts sur lesquels on pouvait lire en espagnol un vers d'un poète sud-américain, disant une fois traduit : « Le jour de ma naissance, Dieu était malade. » Trois corbeaux sont arrivés, m’ont repérés et ont émis leur bruyant et inhabituel cri d’alarme. Mon loriot s'est envolé. J'ai descendu la colline jusqu'à la voiture, une paume plaquée contre ma tendre poitrine. Selon les « drôles d'infos » qui accompagnaient le puzzle, l'Oregon était l'État du castor, son oiseau, l'alouette occidentale de prairie, et sa fleur, le raisin de l'Oregon. La devise de cet État m'a fasciné : « Alis Volat Propriis », ce qui signifie : « Elle vole de ses propres ailes. » Ce serait formidable si cette devise incluait les hommes."
[illustration disponible sur le site propriétaire de l'image]