Sam Raimi jette un sort au "Rêve américain"

Publié le 01 juin 2009 par Boustoune


En 1982, Evil Dead, un petit film d’horreur au budget dérisoire mais plein d’audaces de mise en scène, d’énergie et d’humour noir, parvenait à séduire les amateurs du genre et gagner le statut de film-culte. Il révélait au passage le talent d’un jeune cinéaste passionné : Sam Raimi. L’œuvre avait été rapidement suivie de deux autres volets encore plus délirants, et dotés de moyens plus confortables.
Puis Raimi est quelque peu rentré dans le rang et a signé des œuvres plus conventionnelles (Un plan simple, Mort ou vif) ou plus anodines (Intuitions, Pour l’amour du jeu), avant de rencontrer un succès international et d’exploser les scores du box-office avec la saga des Spiderman.
Grâce à cet impressionnant succès, le cinéaste jouit aujourd’hui d’un certain pouvoir à Hollywood, et possède un véritable petit pactole. Il en a profité pour revenir à ses premières amours, le film d’horreur. Déjà en tant que producteur, via la société qu’il a créée, Ghost House (pour le meilleur - 30 jours de nuit – comme pour le pire – Les messagers). Puis en tant que réalisateur, avec la mise en chantier annoncée d’un quatrième Evil Dead.
Mais avant de donner une suite aux aventures fantastico-gore de Ash Williams, Sam Raimi semble avoir éprouvé le besoin de se tester, de vérifier qu’il n’a pas perdu la main ni les bonnes vieilles recettes propres aux films d’épouvante. Il s’est donc attelé à la réalisation de Jusqu’en enfer, une sympathique série B horrifique.
 
Le scénario, signé par le cinéaste et son frère Ivan, s’inspire d’un fait divers réel et a été savamment arrangé pour terrifier et amuser en même temps : Parce que Christine Brown, jeune employée de banque sans histoires, a refusé d’accorder un délai de remboursement d’emprunt à Madame Ganush, une vieille sorcière gitane, elle se retrouve sous l’emprise d’un puissant sortilège. Tourmentée par un redoutable démon, le Lamia, elle n’a que quelques heures pour conjurer la malédiction avant que celui-ci ne vienne emporter son âme en enfer…
Rien de vraiment révolutionnaire… Les ressorts dramatiques du film sont on ne peut plus classiques et le spectateur a droit à l’habituel éventail d’effets horrifiques, des portes qui grincent aux apparitions-choc qui font sursauter, plus quelques séquences bien répugnantes.
Mais, à la différence de tous ces films d’horreur débiles qui sont produits massivement outre atlantique, tout est ici parfaitement maîtrisé. On sent qu’il y a un vrai cinéaste aux commandes, et pas un vulgaire tâcheron. Les scènes sont particulièrement efficaces et s’enchaînent à un rythme effréné qui ne laisse aucun répit à l’héroïne, ni au spectateur…
 
Sam Raimi se montre inventif et virtuose, comme à son habitude, pour exécuter haut la main toutes les figures imposées propres au genre. Et, décomplexé par l’aspect résolument « Série B » du film, s’autorise toutes les audaces et laisse s’exprimer un humour noir particulièrement réjouissant.
Il prend notamment un malin plaisir à mettre la pauvre Christine Brown (et son interprète, Alison Lohman) dans les situations les plus inconfortables possibles, l’obligeant à ingurgiter fluides corporels peu ragoûtants et insectes importuns, à participer à d’éprouvantes sessions de spiritisme pour tenter de conjurer le sort, ou à patauger dans la gadoue en pleine nuit dans un cimetière… On a rarement vu une héroïne morfler autant dans un film. Elle subit un vrai calvaire qui culmine lors de la séquence finale, très réussie (même si un brin prévisible).
 
En fait, le film est un énorme jeu de massacre où les frères Raimi s’amusent à dézinguer la société américaine.
La scène cauchemardesque du dîner chez les beaux-parents, par exemple, est une intéressante variation sur les différences sociales et sur le côté très fermé de l’upper-class américaine, celle-là même qui sert de vitrine au « rêve américain ».
Pour être accepté dans ce cercle restreint, il faut s’élever socialement. Ce qui suppose obtenir des promotions. Et, la compétition étant féroce dans le monde du travail, certains, tel l’ambitieux collègue de Christine, n’hésitent pas à écraser les autres pour réussir. Pour obtenir le poste qui était censée lui revenir de droit, la jeune femme a dû elle aussi compromettre son humanité. Si elle a refusé d’aider Madame Ganush, c’est uniquement pour s’attirer les faveurs de son patron. Hors de question d’aider une marginale qui ne colle pas du tout avec l’image bien proprette de ces yuppies dans leurs maisons de banlieue rutilantes… La vengeance de la vieille gitane est donc un règlement de comptes allégorique avec l’idéologie américaine et le système capitaliste qui l’ont rejetée, un monde privilégiant les apparences, l’individualisme et la rentabilité, et laissant les plus démunis, ou les plus « différents » sur le carreau…Certains ironiseront sûrement sur le fait que cette leçon moralisatrice vienne d’un cinéaste ayant plutôt bien profité du système, mais il faut bien avouer que ce genre de sous-texte subversif est plutôt rare dans le cinéma de divertissement hollywoodien contemporain, et mérite donc d’être souligné…
Et de toute façon, ce n’est pas là le principal intérêt du film de Sam Raimi…
Si Jusqu’en enfer est aussi réussi et jouissif, c’est grâce à l’incroyable personnage de la sorcière gitane, et la performance de Lorna Raver dans le rôle. Le vieil adage hitchcockien, qui affirmait que « plus le méchant est réussi, plus le film est réussi » est ici parfaitement vérifié. Elle file vraiment les jetons, cette sorcière borgne, avec ses dents acérées, ses ongles longs et crasseux et sa manie de surgir d’on ne sait où, même – et surtout – après sa mort… Même prévisibles, ses apparitions terrifiantes ne manquent pas de faire sursauter le plus aguerri des amateurs du genre…

Fort de ce personnage d’anthologie, mais aussi du talent d’Alison Lohman dans un rôle pas si facile à jouer, et de la virtuosité de la mise en scène de Sam Raimi, Jusqu’en enfer s’élève bien au-dessus de la moyenne des films fantastiques, et même de celle des films de divertissement tout court.
Il s’agit d’une œuvre enthousiasmante, qui fait trembler, rire et réfléchir en même temps. Un très bon film, quoi... De quoi nous rassurer, si besoin était, sur la forme du cinéaste et nous permettre de patienter en attendant ses prochains films, le quatrième volet de la saga Evil Dead, et, un peu plus tard, le quatrième opus des aventures de Spiderman
Note :