Elections libanaises : tchador ou whisky ?

Publié le 01 juin 2009 par Delphineminoui1974

Et si le Hezbollah l'emportait ?

Cette question, prononcée avec un gros soupçon d'inquiétude dans un parfait français - avec un léger roulement du « r » - , combien de fois l'ai-je entendue dans certains milieux ultra-occidentalisés de Beyrouth...

Comme si, en cas de victoire de l'opposition aux élections législatives du 7 juin, le monde allait s'arrêter. Comme si le tchador noir allait devenir obligatoire du jour au lendemain.

(voir la photo ci-contre, parodiant la fameuse campagne « Sois belle et vote » dont nous avons récemment parlé sur ce blog ...).

Avec, à l'appui, les rumeurs les plus abracadabrantes...

Tenez, prenez le supermarché TSC du quartier chrétien d'Ashrafieh, à Beyrouth Est. Entendez l'ex-Monoprix, pour ceux qui voient ce que je veux dire. Depuis son récent rachat par un groupe koweïtien, les rayons se sont offerts un relookage très remarqué, surtout du côté des bouteilles de vin et de whisky. Celui réservé à l'alcool a, en effet, été déplacé dans une section isolée par de grands panneaux en bois. ..

« Où allons -nous ? Où est le libre choix ? Quelle sera la prochaine étape ? », s'insurge une pétition qui circule actuellement sur Internet. Au passage, rappelons qu'aux Etats-Unis - modèle culturel de la société libanaise branchée - la vente d'alcool est strictement réglementée, et rares sont les supermarchés qui ont le droit de vendre des spiritueux. 

Bref, pour en revenir au scrutin qui se tiendra au pays du Cèdre dans moins d'une semaine, faut-il vraiment craindre un véritable séisme politique ? « Non », tranche Charles Harb, professeur de sciences politiques à l'Université Américaine de Beyrouth.

D'abord, parce les derniers sondages ne font ressortir qu'une légère victoire du mouvement du 8 mars (l'opposition soutenue par la Syrie et l'Iran, qui rassemble deux partis chiites, le Hezbollah et Amal ainsi que le CPL du chrétien Michel Aoun) face au 14 mars (la majorité, appuyée par l'Amérique et l'Arabie saoudite, et menée par le courant du Futur, le parti du jeune sunnite Saad Hariri, fils de l'ex-Premier Ministre assassiné en 2005), qui - si elle se confirme le 7 juin - nécessitera donc des compromis entre les différentes tendances.

Ensuite, parce que, rappelle-t-il, le bloc du 8 mars est loin de se résumer au seul Hezbollah. « On ne peut, en aucun cas, comparer la situation avec Gaza, où le Hamas contrôle tout depuis sa victoire », précise-t-il.

Si cette élection se retrouve autant sous les projecteurs, c'est parce qu'il s'agit du premier scrutin depuis les accords de réconciliation de Doha, en mai 2008, qui mirent fin aux violents affrontements entre milices sunnites et chiites.

C'est aussi parce, comme toujours au Liban, ses enjeux dépassent le petit périmètre du pays du Cèdre.

La perspective que le Hezbollah gagne du pouvoir demeure une source d'inquiétude pour Israël qui considère le parti chiite libanais comme un groupe terroriste.

Pour Téhéran, en revanche, le succès potentiel d'un de ses alliés régionaux permettrait de renforcer le « front du refus » qui s'est renforcé entre la République islamique, Damas, le Hezbollah et le Hamas au cours de ces dernières années.

« L'Iran voit dans le courant du 8 mars une coalition suffisamment forte et indépendante capable de tenir tête à l'Amérique et à Israël, et permettant de garantir la souveraineté du Liban », remarque Mohammad Marandi, professeur de relations internationales à l'université de Téhéran.

Un autre facteur qui suscite l'attention, c'est le vote chrétien. « Que ce soit du côté chiite ou du côté sunnite, le vote est monolithique et les électeurs votent pour leur clan », rappelle l'analyste libanais Hilal Khashen. En revanche, poursuit-il, les chrétiens n'ont jamais été aussi divisés. Finie, en effet, l'époque privilégiée du mandat français.

Ainsi, aujourd'hui, faute de leader fédérateur, les chrétiens se répartissent entre deux clans opposés : le 8 mars (incluant le CPL de Michel Aound) et le 14 mars (où l'on retrouve, entre autres, les Forces Libanaises de Samir Geagea). Leur vote va donc fortement peser dans la balance électorale.

Le scrutin, quel qu'il soit, devrait cependant permettre d'assister à une nouvelle répartition du pouvoir au sein du pays, selon Charles Harb.  « Ce qui sera intéressant à observer, c'est la réorganisation des alliances internes et la fin de la division traditionnelle entre les deux blocs actuels », note-t-il. Alors, rien n'est perdu.

Et qui sait, les spiritueux du supermarché TSC bénéficieront-ils peut-être, eux aussi, d'une réorganisation interne ?