La production filmique de l’Inde est la plus importante du monde. Il en est ainsi depuis presque la création du cinéma, le premier film indien est tourné en 1899. Depuis plusieurs décennies, huit cents films de fiction environ sortent par an. Pourtant le cinéma indien est l’un des plus méconnu dans nos contrées car une très large partie des créations est indissociable de passages chantés et dansés : cet élément culturel est un des attraits qui fait la joie des amateurs éclairés mais il est aussi le cœur même des principaux préjugés qui font obstacle à la découverte d’un des cinémas, encore à ce jour, des plus généreux.
C’est avec tout autant de générosité qu’ont été compilés par Edo Bouman et Milan Hulsing les volumes Bombshell Baby Bombay et The Bombay Connection. Idéaux pour la découverte des grands compositeurs indiens de bandes originales, les disques couvrent deux périodes : 1959-1972 et 1977-1984. Le choix de ces années permet de mettre en évidence deux des grands courants musicaux : le groove style années 60 et le funk type 70’s. A l’instar du cinéma hong-kongais, l’industrie du cinéma indien suit de très près l’actualité musicale à la mode dans les pays occidentaux. La jeunesse locale en raffole. Les artistes, plus ou moins honnêtes, s’inspirent et marient les styles importés à la musique de leurs pays ; les producteurs peu scrupuleux utilisent des titres connus sans créditer les créateurs originaux (ceci fut longtemps toléré car le flou "artistique" le plus total existait dans certains pays).
Bombshell Baby Bombay (Bouncin’ Nightclub Grooves From Bollywood Films 1959-1972) fait la part belle à Rahul Dev Burman et au duo Shankar-Jaikishan. R.D. Burman est l’équivalent de Lalo Schiffrin en Inde et compte plus de trois cents bandes originales à son actif. Tout aussi à l’aise dans les mélodies entêtantes que les rythmes entraînants, Burman fait souvent mouche. S’il maîtrise avec respect les différents styles musicaux de son pays, il ne méprise pas pour autant le matériau importé. Non, c’est avec une réelle délectation qu’il le fait sien pour son plaisir, pour notre plaisir. Avec Burman l’efficacité est au rendez-vous et il insuffle une énergie communicative indéniable à ses compositions.
Shankar Singh Raghuvanshi et Jaikishan Dayabhai Panchal (ils signent sous le pseudo commun de Shankar-Jaikishan) ont plus d’une centaine de disques en commun. Les deux se complètent à merveille et sont l’association de talent pendant près de vingt ans. Ils assurent sur tous les fronts : chansons d’amour, compostions d’inspiration occidentales, numéros de dance, musiques de fond ("background score"). Le morceau "Jan Pahechan Ho" tiré du film Gumnaam est un bel exemple de leur savoir-faire de l’époque évoquée : guitare à la Shadows, percussions indiennes, trompettes style mariachi : ça swingue avec démesure.
The Bombay Connection (Funk From Bollywood Action Thriller 1977-1984) met en vedette une fois de plus R.D. Burman. Je ne vous reparlerai donc pas de lui, l'écoute de l'énorme "Main Hoom LiLy" extrait de Bond 303 suffira comme piqûre de rappel.
Le travail d’un autre duo célèbre est ici souligné, il s’agit de Kalyanji-Anandji. Les deux frères Anandji et Kalyanji Virji Shah sont les créateurs de pas loin de deux cents b.o., dont l’une des plus célèbres est celle du film Don (avec le dieu vivant Amitabh Bachchan). Pas d’extrait ici de Don, ç’eut été trop facile. En revanche "Na Na Na Yah Kya Karne Lage Ho" du métrage intitulé Bombay 405 Miles force le respect une fois de plus. Bien sûr lorsque l’on s’aperçoit que le morceau date 1980 et qu’il sonne début 70 à fond les manettes, alors que sur l’Occident insouciant a déjà déferlée la vague disco, bientôt suivie par celle imminente de la new wave (vous ne pourrez pas me reprocher d’être vague dans cet article), on peut au premier abord esquisser un petit sourire sur le métro de retard. Mais ne boudons pas notre plaisir. Et surtout ne dénigrons pas l’indéniable talent de Kalyanji-Anandji apte à faire groover un mort à coup de basse "blaxploitation" et d’une voix sensuelle tirée d’une "colonna sonora originale" italienne du meilleur cru.
Il serait injuste de ne pas mentionner quelques uns des interprètes qui contribuent à la popularité des airs et des films. La déesse incontestée et respectée Asha Boshle étend son hégémonie sur les 2 volumes. La chanteuse la plus célèbre de l’Inde, et dont la réputation dépasse les frontières de son pays, chante depuis 1948 et affiche plus d’un millier de bandes originales de films. On frise le délire, l’étourdissement, la syncope devant l’ampleur de la tâche accomplie. La voix d’Asha, attirante et envoûtante, est reconnaissable par ses sonorités suaves et aiguës.
Kishmore Kumar est l’un des grands talents parmi les "playback singers" du cinéma indien. Au départ acteur et parfois réalisateur, il est repéré pour ses talents vocaux et au fil du temps il deviendra l’un des numéros un de sa catégorie.
Mohammed Rafi n’est pas moins célèbre que le chanteur précité. Sa carrière couvre trois décennies dont les années 70 sont l’apogée. Détail amusant, il sera quelque fois la voix playback de Kishore Kumar, n’ayant pas le temps de jouer et d’enregistrer ses propres parties chantées.
Pour ne rien gâcher au tout, Edo Bouman et Milan Hulsing, ont soigné le travail jusqu’au bout. Pochettes magnifiques, reproductions de press books, notes sur les chanteurs et musiciens, précisions des crédits (titres des chansons et des films, noms des artistes "doublures chant" pour chaque morceau, années de productions,…). Pour les puristes, un pressage double vinyle 180 gr. numérotés à 250 copies est disponible. Les deux compilations existent aussi en cd éditées avec le même soucis de présentation et de précision .
En bref : une excellente introduction dans un univers frais et décomplexé, comme ceux du cinéma bis italien et hong-kongais des années 60-70. A découvrir d’urgence sous peine d’être passé à côté d’un bonheur aussi simple que vital.