Florence, en été, ses touristes, sa chaleur, ses étals multicolores, ses immeubles vétustes au charme indicible, ses beautés architecturales, picturales, ses palais désertés pour les fraîches campagnes, ses confréries (notamment celle des Frères de la Miséricorde) recrutant dans toutes les couches de la société, ses vieilles dames plaintives et envahissantes et son adjudant Guarnaccia, sicilien exilé dans le nord, attendant patiemment ses congés pour rejoindre sa famille.
Ayant rejoint l'appartement de la signora Guisti, la vieille dame envahissante par ses éternelles jérémiades, l'adjudant écoute la litanie de cette dernière, regardant avec tristesse les pêches qu'il vient d'acheter et qu'il ne mangera pas, contraint une fois encore à jeûner! Entre bribes de cancans, plus ou moins venimeux, et expression d'une solitude souvent difficile à vivre, signora Guisti attire l'attention de l'adjudant sur les étranges bruits venus la nuit précédente de l'appartement voisin, inoccupé depuis que Toni, le jeune orfèvre, son propriétaire, a construit sa vie aux Pays-Bas. Qu'a-t-il bien pu se passer? La curiosité pousse Guarnaccia et la signora à jeter un oeil à l'intérieur du logis. Des affaires jonchent pêle-mêle le sol de la cuisine, le désordre règne dans la salle de bain et un faible gémissement se fait entendre: c'est Toni qui est en train de perdre la vie. L'adjudant appelle les Frères de la Miséricorde ainsi que la police: les premiers précèdent les seconds et recueillent le dernier souffle de Toni ainsi que ses ultimes paroles, bien mystérieuse: "Ce n'était pas elle." Commence alors pour Guarnaccia une enquête difficile tant les informations sont embrouillées entre le temps écoulé depuis l'enterrement du père de Toni et les histoires intestines de famille! Le suicide semble être évident sauf pour l'adjudant qui fera tout pour prouver qu'il n'en est rien et qu'il s'agit bien d'un crime: en effet, pourquoi vouloir se supprimer alors que l'on va être papa, que l'on est heureux en ménage et que les affaires marchent bien?
L'enquête de l'adjudant fleure bon les enquêtes du commissaire Maigret: le rythme prend son temps avec le récit, s'attarde pour notre plus grand plaisir sur les menus faits du quotidien, sur les divers évènements au premier abord peu importants mais qui au final tissent une toile cohérente d'un univers particulier...celui de Florence. Peu à peu, les indices perdus dans le dédale des pistes semblant ne mener nulle part, mettent en éveil l'attention du lecteur et l'égarent, gentiment, sur quelques fausses pistes.
L'écriture et le style sont d'excellente facture: efficaces avec ce qu'il faut de belles tournures, d'images évocatrices, d'humour et de sel. On suit avec joie l'adjudant, taciturne et corpulent, personnage attachant par sa fausse simplicité (il est tout sauf benêt ou lent à saisir la subtilité des choses), son caractère tranquille tout en étant bien trempé, son humanité touchante et sans fard, sa compassion immense, sa curiosité intellectuelle et sa bonhommie derrière la fatigue d'un quotidien un tantinet ennuyeux. Un Colombo que l'on aime suivre au fil des senteurs des étals fleuris et fruités, au coeur du brouhaha industrieux des chalands et des ménagères, sous l'implacable lumière d'un soleil brûlant comme dans l'ombre rafraîchissante d'un appartement isolé ou celle d'un palais déserté pour l'été. Les rues, les personnages hauts en couleur prennent corps sous la plume de Magdalen Nabb, tel un film intimiste où lentement on déambule pour capturer l'essence même de la ville.
Roman traduit de l'anglais (GB) par Jean-Noël Chatain
Roman lu dans le cadre du Cercle des Parfumés (Merci Arabella pour cette belle découverte!)