Antoine Cina a escaladé l’Everest en 30 jours

Publié le 31 mai 2009 par Danielle
De retour de son expédition express sur l’Everest, Antoine Cina, 54 ans, a atterri ce samedi 30 mai à 7h du matin, à Cointrin. Réactions sur le vif, recueillies par notre collègue Claire-Lise Genoud qui s'est rendue à sa rencontre. A lire absolument!

Il a les yeux qui brillent encore. Il écarte les bras, heureux. Son amie Violaine et sa fille Chloé enceinte d’un peu plus de 5 mois ont à peine le temps de se jeter dans ses bras, déjà le montagnard, l’escaladeur de l’extrême, a repris le contrôle de lui-même. Les yeux toujours aussi brillants, le visage écarlate, il pose son regard sur vous comme il devait poser chacun de ses pas sur ce sommet, le plus haut au monde - on ne le dira jamais assez - qui culmine à 8848 mètres d’altitude à la frontière entre le Tibet (Chine) et le Népal. Interview.
Claire-Lise Genoud: Fatigué ?
Antoine Cina. C’est l’ensemble, il faut épurer un peu. Depuis qu’on a fait le sommet avec Claude Faivre (ndlr. compagnon de l’expédition qui vient du Jura français et a dû redescendre à 8700 mètres car il se sentait devenir aveugle), on n’a plus arrêté.
C’était quel jour déjà ?
Le 21.
Et cette histoire de sherpa qui vous a lâché à 48 mètres du sommet…
Ah ça, c’est les sherpa. Leur éthique n’a rien à voir avec celle de chez nous. Ce n’est pas chez nous que ça se passerait comme ça.
Vous auriez pu monter jusqu’au sommet?
Mais c’est sûr, moralement j’étais en pleine forme et on était dans des conditions impeccables.
Combien de temps vous aurait-il fallu pour faire ses derniers 48 mètres ?
Rien du tout. Une heure, une heure et demie tout au plus. Et il était seulement 9h40, j’aurais eu largement le temps.
Vous n’avez pas pensé l’attraper au passage et lui dire: eh you!
Même pas. Quand j’ai vu qu’il repassait devant moi pour redescendre, j’ai pas hésité une seconde. Je savais que j’étais bien, mais je savais aussi les risques que j’allais prendre en montant tout seul. Ce n’était pas seulement le sommet, c’est aussi toute la descente. Quand j’ai décidé de le suivre vers le camp, je savais que je ne serai dans les tabelles, j’ai choisi la sécurité. De toute façon, pour moi, le sommet je l’ai fait.
Combien de temps dure la descente?
Jusqu’à la fin de la zone de la mort, 12 à 15 heures au minimum. Mais après il faut passer les échelles pour atteindre le camp à un peu moins de 8000 mètres.
Et le sherpa ?
Il était toujours un peu en avance devant moi, mais au moins il était là, s’il m’arrivait quelque chose...
Le 18 mai, il y a eu mort, comment avez-vous réagi?
C’était un Tchèque, il a voulu monter en libre, sans sac, sans rien, tout seul. J’ai discuté avec lui juste avant qu’il monte. Il y a eu l’alerte dans le camp quand il est mort. Il était cuit. Il paraît qu’il réfléchissait pour faire chaque pas. Il a trop forcé. On ne sait même pas s’il est arrivé au sommet. Il est monté, il est rentré au camp et il est mort. Nous on est resté dans notre tente, c’est tout. Chacun s’occupe de soi. On ne peut rien faire.
Vous êtes partis de Genève le 30 avril, nous sommes le 30 mai. C’est court pour faire l’Everest?
Plutôt. On a expérimenté la technique dite alpine. Cela fait 20 ans qu’elle existe mais la vieille école ne veut pas en entendre parler. Avec Claude, on est les premiers à l’avoir testée en commercial. On peut vraiment le faire.
Qu’a-t-elle de particulier cette technique?
Plutôt que de rester 2 mois et demi entre 5000 et 7000 mètres, on fait des palliers à des moments très spécifiques et comme on ne reste pas longtemps sur place, on s’évite des problèmes de santé, les maux de tête. C’est la même chose avec le jetlag. Si vous ne restez pas longtemps sur place, l’organisme n’a pas le temps de réagir au changement de milieu.
C’est plus fort en montant si vite?
Peut-être un peu.
Qu’est ce qui a été le plus fort?
Tout a été fort, le voyage, les Népalais, la route, la montagne, tout. Mais maintenant il va falloir décrocher. Je crois que je vais avoir besoin d’un bon mois pour assimiler tout ça.
Vous avez perdu du poids?
Moi, 6 kilos et Claude 9 kilos. Mais on a tout repris en quelques jours à Katmandou. Et puis on bu quelques bières.
Et la nuit, vous dormiez bien?
Des fois c’était fort, la nuit, les rêves. Et puis après on oublie.
On se sent plus proche du ciel là-haut?
Non. On garde ses énergies. On pense à ce qu’on doit faire le lendemain.
Et le plus dur?
Rien. Y a pas eu de souci. Rien, rien du tout.
C’était vraiment à la hauteur de ce que vous espériez?
Oui. J’ai même emmené «Tintin au Tibet» là-haut.
La BD?
Tout-à-fait. C’était un rêve d’enfant. Mais avant de partir j’avais plié et collé le drapeau tibétain entre deux cartes de crédit. Quand on est allé visiter le Potola à Lhassa, j’ai décollé une des cartes et j’ai pu ainsi photographier le drapeau avec des Chinois derrière en vert de gris.
Vous avez pris le temps de la relire la BD?
Non, elle était sous-vide. Mais juste avant de monter au sommet, j’ai collé dessus le drapeau tibétain. C’était un rêve, un rêve d’enfant. Tout ce que je voulais faire, je l’ai fait. J’avais même dans mon sac un sachet de 100 grammes de viande séchée de Chermignon. La BD, j’aurais bien aimé la faire signer par le sherpa, mais bon…
Vous avez pu en parler avec lui?
J’ai tout expliqué à notre conseiller technique. C’est à lui à régler cette histoire. Pour moi, c’est fini. Durant la descente, je me sentais déçu parce que je ne comprenais pas ce qu’il s’était passé. C’est par la suite que j’ai appris que tout avait été réglé d’avance. Il voulait aller au sommet pour obtenir un papier de son agence. C’était juste du business. Moi, j’étais rien du tout pour lui.
Et l’oxygène, vous en avez eu besoin?
Je n’ai ressenti aucune gêne. Je l’avais sur moi au cas où. Juste avant l’escalade du sommet, ils nous ont obligés à en respirer un peu, mais sinon je n’en ai jamais eu besoin. Je me sentais bien.
Comme un papillon?
Oui, c’est ça. Plus je montais, mieux je me sentais. C’était dur, c’était pénible, il faisait froid, mais je me sentais bien. J’étais motivé. Mais je m’étais bien préparé avant de partir, j’avais pensé à tout cela. Je savais que je voulais rester en sécurité, qu’au moindre doute, j’arrêtais tout. C’est pour cette raison que j’ai accepté si facilement de suivre mon sherpa vers la descente. Je voulais revenir vivant, aussi pour Chloé, ma fille et le bébé qu’elle attend. C’était important pour moi.
Propos recueillis par Claire-Lise Genoud

Message du bébé de Chloé Cina...


Violaine, Antoine et Chloé Cina

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