La fête de la Colinière est l’une des nombreuses scènes de théâtre de l’œuvre de Renoir qui, de 1954 à 1960, a également mis en scène et écrit des pièces de théâtre. Avec toujours la même question essentielle: «Où est la vérité? Où commence la vie? Où donc finit le théâtre?» Pas de frontière nette entre réalité et illusion, mais, comme le dit Serge Daney, un no man’s land, «une zone d’interférence, la théâtralité, qui pose le problème du vrai et du faux». Pour Renoir comme pour Shakespeare («Le monde entier est une scène»), toute vie sociale est spectacle.
La fête de la Colinière avec les personnages «amenés à se déguiser, c’est-à-dire à ôter leurs masques» comme disait Truffaut,. Geneviève, par exemple, est costumée en bohémienne, donc en nomade, mal fixée dans cette grande bourgeoisie – signe de la précarité de sa situation de femme entretenue;
Jurieu, en dompteur d’ours maniant le fouet, trahit des pulsions qu’il cache avec soin, et peut-être des opinions autoritaires (des grands aviateurs comme Lindbergh ou Mermoz affichaient alors leurs sympathies pour l’extrême droite); Octave, metteur en scène involontaire de la tragédie finale, est mal à l’aise dans sa peau d’ours: c’est un solitaire, vu par les autres comme un rustre balourd mais gentil or lui aussi est capable de méchanceté ou d’égoïsme. Ou si l’on retourne la perspective: Octave voudrait bien donner un coup de griffe à cette société qui l’oblige pour survivre, en tant que parasite, à être aimable. Que Renoir lui-même joue le rôle n’a rien de secondaire, lui qui mettra en scène Le Testament du Dr Cordelier, avec le dédoublement entre le bon docteur et son double monstrueux.
Au cours de la chasse, la scène de la lunette, métaphore possible de la caméra, où Christine aperçoit de loin le baiser de Robert et Geneviève – en fait un baiser d’adieu qu’elle interprète faussement: elle a pris pour «une image juste»ce qui était «juste une image»(Godard). L’objectif d’une caméra n’a donc rien d’objectif puisque toute image est vécue comme représentation.
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