31 mai 2009
Sur l'ambiguïté des rapports Beurs/Blédards
Sur l'ambiguïté des rapports Beurs/Blédards
Les liens que tissent les nouveaux arrivants maghrébins en France, ou les récemment débarqués, avec leurs " compatriotes " déjà sur place et nés dans ce pays (donc français) constituent une matière sociologique riche et peu explorée. Les dénominations utilisées pour en parler (
Du point de vue d'un Maghrébin primo-arrivant (pour utiliser un euphémisme à la mode), le " beur " est sûrement un cessent d'accuser de les avoir privés du minimum de chances pour réussir. Le blédard est déjà dans un rapport post-colonial avec la France tandis que le beur demeure - à tort ou à raison - englué dans ce " continuum colonial " que dénoncent les associations qui veulent faire de la journée du 8 mai, l'occasion de manifester au nom des " indigènes de la République ". Dans le regard, dans le discours du beur, il y a souvent un désir de revanche, une volonté exacerbée de se voir enfin reconnaître sa place dans la société française. Cela influe sur son attitude, sa manière d'appréhender les événements les plus insignifiants de la vie courante. La " beur attitude ", c'est un mélange de fierté, de colère et de susceptibilité. C'est une souffrance que l'on devine mais qui ne rend pas pour autant sympathique celui qu'elle torture. " (Akram Belkaïd, in alter ego qui l'a précédé sur le chemin qu'il s'apprête lui-même à emprunter. La différence entre lui, " le bleu ", et cet " autre soi-même " qu'est le " beur ", c'est que ce dernier sait, il connaît, il est ici depuis longtemps, il a déjà passé et - croit-il malgré tout - réussi ses épreuves. Il représente à ses yeux son avenir même, celui qu'il deviendra après avoir accompli son parcours d'initiation, ou " d'assimilation " pour certains. Il lui accorde donc volontiers une certaine longueur d'avance. Cette longueur correspond à sa francisation. D'abord linguistique, puisqu'il admet souvent que le " beur " parle français mieux que lui. Ensuite sociale et culturelle, puisqu'il lui accorde plus ou moins consciemment le présupposé que lui, il est " branché ", c'est " son milieu ", il sait tout le temps de quoi il est question. En même temps, il ne perd pas de vue que le " beur " est un Marocain, un Algérien, un Tunisien, etc., c'est-à-dire un double de lui-même ou presque. Comment pourrait-il ne pas l'être, lui, qui est si différent de la génération de ses parents (eux, ce sont des " émigrés ") ? Bien sûr, ces parents représentent aux yeux du Maghrébin récemment arrivé un modèle peu attractif. C'est " l'ancienne génération ", peu instruite, peu qualifiée, constituant une fraction sociale peu élevée au sein de la société globale. Le " Beur " est aussi différent du Français ordinaire, croit-il, puisqu'il voit bien que sa manière de regarder, de sourire, de réagir, ressemble à la sienne propre. " Au moins, elles, elles te regardent ", m'avait lancé un copain un jour à propos d'un groupe de " beurettes ".
Mais tout cela ne sont que des croyances et des illusions croisées. Car un troisième terme est oublié dans cette relation, celui que constitue l'Etat français et son action. Le " beur " n'est en effet pas un cousin plus francisé, mais le produit d'une histoire singulière faite des rapports problématiques de l'état français avec ses immigrés. Ses rapports sont avant tout un échec, l'échec d'une politique qui a produit discriminations, inégalités et racismes. Le " blédard " est également le produit d'une histoire singulière, celle de l'échec de l'état national post-indépendant dans son pays d'origine, et celle du rapport que la France construit - mythologiquement ou réellement - avec le reste du monde. S'il vient en France, c'est en effet à cause de toutes ces choses qu'il ne trouve pas chez lui, allant de la liberté individuelle à un Etat organisé qui garantit - croit-il - à ses citoyens un minimum de justice et d'accès aux biens économiques ou culturels.
Or, c'est à ce niveau que le " beur " et le " blédard " se séparent radicalement. Là où l'un subit de plein fouet le poids d'une France inégalitaire, l'autre subit la mythologie d'une France patrie des droits de l'homme et de la République. Là où l'un est enclin à respecter le jeu économique et politique, l'autre est prêt à se révolter en réponse aux injustices subies. Le Quotidien d'Oran)
" Le fait est que le blédard ne ressent pas sur son dos toute cette chape de rancoeur et même de révolte que nombre de beurs peuvent éprouver à l'égard de leur propre pays. Un pays qu'ils ne
Deux rapports finissent ainsi par différencier complètement le Maghrébin venu récemment du Maghreb et le Maghrébin né en France : le rapport à la France et au pays d'origine. Le malaise se situe pour le premier dans son appartenance à l'état national indépendant, tandis qu'il se loge préférentiellement pour le second dans son appartenance à l'état français. Les malentendus deviennent alors structurels : le " beur " découvre souvent que son ami ou compagnon " blédard " manque de patriotisme, que les éléments qui constituent pour lui son identité sont pour ainsi dire en dissolution chez celui qui est censé les posséder à l'état pur et authentique. Comment se peut-il que le " blédard " manque à ce point de foi religieuse, qu'il soit athée, qu'il se montre aussi critique envers sa société et son pays ? Comment se peut-il qu'il manifeste autant d'attachement à des valeurs républicaines qui lui sont étrangères, à des principes qu'il n'est pas censé connaître ? Le déni n'est pas très loin, parfois le " blédard " ne devient à ses yeux qu'un faux maghrébin... De l'autre côté, le " blédard " découvre que son ami ou son compagnon " beur " n'est pas aussi francisé qu'il le souhaite. Il s'étonne qu'il soit attaché à des formes de culture ou de religion rétrogrades, qu'il s'obstine à parler une langue discriminée et qui lui est insupportable, qu'il mette du Coran comme sonnerie dans son portable, qu'il soit un berbériste raciste ou un fervent musulman rituel ou même fondamentaliste (alors qu'il ne lit pas l'arabe), etc.