Troubles de Gafsa
Pendant plusieurs mois à partir de janvier, la région minière de Gafsa, dans le sud-est du pays, a été le théâtre de protestations contre l’augmentation du chômage, la pauvreté, la hausse du coût de la vie et les méthodes de recrutement de la Compagnie des phosphates de Gafsa, le principal employeur de la région. Les autorités ont réagi, à Redeyef et dans d’autres villes, en déployant les forces de sécurité, qui ont fait un usage excessif de la force pour disperser des manifestations ; deux personnes ont trouvé la mort et beaucoup d’autres ont été blessées. Plusieurs centaines de personnes qui avaient participé aux manifestations ou étaient soupçonnées de les avoir organisées ou soutenues ont été arrêtées ; au moins 200 ont fait l’objet de poursuites. Certaines ont été condamnées à des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement.- Hafnaoui Maghzaoui a été abattu le 6 juin lors de l’intervention des forces de sécurité, qui ont tiré à balles réelles pour disperser des manifestants à Redeyef. Selon des sources non officielles, 26 autres personnes ont été blessées – les autorités n’en dénombraient pour leur part que huit. L’une d’elles, Abdelkhalek Amaidi, a succombé à ses blessures au mois de septembre. Des témoins oculaires ont affirmé que les policiers avaient ouvert le feu sans sommation et que bon nombre des blessés avaient été atteints au dos et aux jambes. Le ministre de la Justice a déclaré qu’il regrettait la mort de Hafnaoui Maghzaoui, mais a nié toute action illégale de la part des forces de sécurité. Il a ajouté qu’une enquête était en cours.
- Adnan Hajji, secrétaire général de la section locale de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), a été arrêté en juin. Cet homme, ainsi que 37 autres personnes accusées d’avoir pris la tête du mouvement de protestation, ont été inculpés d’association de malfaiteurs dans l’intention de détruire des biens, entre autres charges. À l’issue de leur procès, en décembre, 33 ont été condamnés à des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement et cinq ont été relaxés.
Évolutions législatives et constitutionnelles
Des modifications de la Constitution adoptées en juillet ont abaissé l’âge de la majorité électorale de vingt à dix-huit ans et introduit des dispositions exceptionnelles en vue de l’élection présidentielle de 2009. Celles-ci limitent de fait la candidature aux seuls responsables élus des partis en fonction depuis deux ans au moins. En décembre, les autorités ont annoncé des projets de modification de la loi électorale visant à augmenter de 37 à 50 le nombre de sièges dévolus aux partis d’opposition à la Chambre des députés et à accroître également la représentation de ces formations dans les conseils municipaux."Des défenseurs des droits fondamentaux ont été harcelés, intimidés et soumis à une surveillance constante et très stricte de la part des autorités."Une modification du Code de procédure pénale adoptée en mars a renforcé les garanties dont bénéficient les détenus en instituant l’obligation pour le procureur de la République et le juge d’instruction de motiver toute autorisation de prolongation de trois jours de la garde à vue. Une loi adoptée en juin a mis le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales en conformité avec les Principes de Paris concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme, dans le but de renforcer son indépendance.
Lutte contre le terrorisme et sécurité
Les procès des personnes accusées d’activités terroristes étaient inéquitables et débouchaient généralement sur des condamnations à de lourdes peines d’emprisonnement. Parmi les accusés figuraient des personnes arrêtées en Tunisie ainsi que des Tunisiens expulsés d’autres pays, alors qu’ils risquaient d’être victimes d’actes de torture. Les condamnations étaient souvent fondées sur des « aveux » obtenus durant la période de détention provisoire et que les accusés avaient rétractés à l’audience en affirmant qu’ils avaient été extorqués sous la torture pendant leur maintien au secret. Les juges d’instruction et les tribunaux s’abstenaient généralement d’ordonner une enquête sur ce type d’allégations. Quelque 450 personnes accusées d’activités terroristes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement au cours de l’année. En juin, Sami Ben Khemais Essid a été renvoyé de force d’Italie en dépit de craintes pour sa sécurité. Il a été arrêté à son arrivée en Tunisie car il avait été condamné par contumace entre 2000 et 2007, notamment par des tribunaux militaires, à des peines dont le total dépassait cent ans d’emprisonnement, dans le cadre de plusieurs procédures pour activités terroristes. Après avoir interjeté appel, il a été rejugé lors de deux procès distincts en juillet et en novembre et condamné à des peines de huit et onze ans d’emprisonnement.- Ziad Fakraoui, qui s’était plaint d’avoir été torturé pendant sa détention au secret dans les locaux de la Direction de la sûreté de l’État à Tunis en 2005, a été remis en liberté en mai. Il a de nouveau été arrêté par des agents des services de sécurité le 25 juin, deux jours après qu’Amnesty International eut évoqué son cas dans un rapport sur les violations des droits humains en Tunisie. Il a été détenu au secret pendant sept jours avant d’être présenté à un juge d’instruction, qui l’a inculpé d’appartenance à une organisation terroriste et d’incitation au terrorisme – les mêmes chefs que ceux formulés contre lui après son arrestation en 2005. Acquitté de toutes les charges, il a été libéré le 25 novembre.
Prisonniers politiques – libérations
Quarante-quatre prisonniers politiques ont été remis en liberté conditionnelle en novembre, à l’occasion du 21e anniversaire de l’accession au pouvoir du président Ben Ali. Parmi eux figuraient 21 hommes qui purgeaient de longues peines d’emprisonnement pour appartenance à l’organisation islamiste interdite Ennahda (Renaissance). Il s’agissait des derniers membres de ce mouvement maintenus en détention, la plupart d’entre eux depuis plus de quinze ans. Certains avaient, semble-t-il, besoin de soins médicaux de toute urgence en raison des mauvais traitements qui leur avaient été infligés et de la dureté de leurs conditions de détention, notamment le maintien à l’isolement pendant de longues périodes. À l’instar d’autres prisonniers politiques remis en liberté, ils auraient fait l’objet d’ordres de « contrôle administratif » prononcés lors de leur procès en 1992, qui les obligeaient à se présenter fréquemment à des postes de police précis. Ces mesures restreignaient leur liberté de mouvement ainsi que la possibilité de trouver un emploi et de recevoir des soins médicaux. Dans certains cas, leurs proches se sont vu également refuser la délivrance d’un passeport. Sadok Chourou, un ancien dirigeant d’Ennahda qui était au nombre des prisonniers libérés en novembre, a été de nouveau arrêté à son domicile le 3 décembre. Inculpé trois jours plus tard de « maintien d’une association non autorisée » – à savoir Ennahda –, il a été condamné à un an d’emprisonnement.Torture et autres mauvais traitements
Comme les années précédentes, des cas de torture et de mauvais traitements infligés dans les postes de police et les centres de détention gérés par la Direction de la sûreté de l’État ont été signalés. Les prisonniers maintenus au secret risquaient tout particulièrement d’être victimes de telles pratiques.- Jaber Tabbabi a été interpellé le 5 juin dans le cadre des manifestations de Gafsa. Des policiers ont arraché ses vêtements et l’ont frappé à plusieurs reprises en le traînant jusqu’à un poste de police de Redeyef, où il aurait été torturé. Il a ensuite été transféré dans un poste de Metlaoui, où on lui a bandé les yeux. Il a été mis dans une position contorsionnée et on lui a enfoncé un bâton dans l’anus. Il a dû recevoir 16 points de suture pour une blessure à la tête. Jaber Tabbabi a affirmé qu’il était resté nu jusqu’à sa comparution devant un juge d’instruction du tribunal de première instance de Gafsa. Son avocat a demandé qu’il subisse un examen médical afin d’établir s’il présentait des traces de torture, mais cette demande a été rejetée. Le juge a toutefois ordonné sa remise en liberté immédiate. Jaber Tabbabi a été libéré sans inculpation le 9 juin.
Liberté d’expression
Les médias restaient soumis à de sévères restrictions. Plusieurs journalistes ont été inculpés en raison de leurs activités professionnelles, bien que les charges retenues contre eux n’aient, semble-t-il, le plus souvent rien à voir avec celles-ci.- Fahem Boukadous, journaliste de la chaîne de télévision Al Hiwar Ettounsi, a été inculpé d’« appartenance à une association de malfaiteurs » et de « diffusion de publications susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Ces charges étaient liées à ses reportages à propos des manifestations de Gafsa et des violations des droits humains commises par les forces de sécurité. Entré dans la clandestinité, il a été jugé par défaut le 12 décembre, en même temps que 37 autres personnes (voir plus haut), et condamné à six ans d’emprisonnement.
- Naziha Rjiba a été convoquée par le procureur de la République en octobre et interrogée à propos d’un article qu’elle avait rédigé pour le journal d’opposition Al Mouatinoun. Cet article accusait le gouvernement de s’en être pris au site Internet de Kalima, un magazine d’information en ligne qu’elle avait créé avec d’autres personnes après que les autorités eurent refusé d’autoriser sa publication, en 1998. Le ministère de l’Intérieur avait saisi quelques jours auparavant le numéro d’Al Mouatinoun dans lequel son article avait été publié.
Défenseurs des droits humains
Des défenseurs des droits fondamentaux ont été harcelés, intimidés et soumis à une surveillance constante et très stricte de la part des autorités. Celles-ci refusaient l’enregistrement des ONG de défense des droits humains ou entravaient leurs activités. Les lignes téléphoniques et les connexions Internet de ces organisations étaient perturbées.- En juin, deux avocats et défenseurs des droits humains qui avaient dénoncé les violations des droits fondamentaux commises en Tunisie lors d’une conférence de presse organisée à Paris par Amnesty International ont été harcelés par les autorités à leur retour à Tunis. Retenus pendant un court laps de temps à l’aéroport, Samir Dilou et Anouar Kousri ont ensuite été convoqués par la police, qui les a interrogés à propos de la conférence de presse et accusés de diffuser des informations mensongères et de porter préjudice à l’image de la Tunisie. Samir Dilou a été menacé de poursuites s’il ne mettait pas fin à ses activités.
Violences contre les femmes et les filles
La Tunisie a adhéré en septembre au Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes [ONU]. En novembre, les autorités ont mis en place une permanence téléphonique gratuite pour les femmes victimes de violences domestiques.Peine de mort
Le gouvernement a maintenu un moratoire de facto sur les exécutions. Des prisonniers restaient toutefois sous le coup d’une sentence capitale. En février, la cour d’appel de Tunis a commué l’une des deux condamnations à mort prononcées à l’issue du procès dit « de Soliman », en décembre 2007 ; la seconde condamnation a été confirmée. Imed Ben Amar a vu sa peine commuée en détention à perpétuité, mais la sentence capitale contre Saber Ragoubi a été maintenue. En mars 2008, un groupe de 25 parlementaires représentant l’ensemble des partis a soumis une proposition de loi visant à abolir la peine de mort. Le texte n’avait pas été examiné à la fin de l’année.Visites d’Amnesty International
Un délégué d‘Amnesty International s’est rendu en Tunisie en février pour observer des audiences du procès de Soliman.Source Amnesty International