Johnny Hallyday a annoncé qu’il arrêtait la chanson pour se consacrer dorénavant au métier d’acteur. Curieuse idée… Car si l’homme est indéniablement doué pour « allumer le feu » sur scène, ses prestations cinématographiques, à l’exception de deux ou trois films où il se joue de sa propre image, font plutôt l’effet de douches froides…
Et à voir sa performance dans Vengeance, présentée comme la pierre angulaire de cette nouvelle carrière, on ne saurait que trop lui conseiller de renoncer à son absurde ambition ou du moins de mieux choisir les projets dans lesquels il souhaite s’investir.
Le nouveau film du cinéaste hongkongais Johnnie To est en effet un thriller totalement ridicule, truffé de personnages caricaturaux, à commencer par celui de Johnny Hallyday, figure monolithique héritée des vieux films de Jean-Pierre Melville.
L’intrigue, comme l’indique le titre, est le récit d’une vengeance. Celle de Francis Costello, bien décidé de régler leur compte aux tueurs qui ont abattu froidement son gendre et ses petits-enfants, et qui ont laissé sa fille dans un sale état, entre la vie et la mort. Ca ne devrait être qu’une formalité pour cet ex-gangster, qui, bien qu’ayant quitté le milieu depuis des années, afin de s’occuper d’un grand restaurant parisien, a encore de bons réflexes (comme le prouve un amusant concours de démontage/remontage de flingue les yeux bandés).
Mais la situation est un peu compliquée. Déjà parce que la traque se passe à l’étranger, à Hongkong plus exactement, un territoire où il n’a aucun repère. Ensuite parce que l’assassinat de son gendre a été commandité par un grand ponte des puissantes triades chinoises. Pour surmonter ces deux difficultés majeures, il peut s’appuyer sur un groupe de tueurs particulièrement efficaces, à qui il a promis une forte récompense. Mais il y a encore un ultime problème : Costello présente les premiers signes d’une perte irréversible de la mémoire et le temps lui est compté…
C’est cette dernière « trouvaille » scénaristique, empruntée à Memento et autres déclinaisons sur le même thème, comme La mémoire du tueur, qui alourdit considérablement un récit déjà passablement tarabiscoté et le fait basculer dans le ridicule le plus total. Car à la différence du personnage du film de Christopher Nolan, Costello n’est pas du tout organisé et se perd dans ses propres notes. Il ne se rappelle même pas où il les a rangées, il faut dire…
Alors on ne s’étonnera pas de l’entendre demander très sérieusement à ses acolytes : « C’est quoi, ‘‘se venger’’ ? »… En anglais, car bizarrement, il oublie les raisons qui l’ont conduit ici, mais il maîtrise encore parfaitement la langue de Shakespeare…
Point culminant de ce délire scénaristique, la scène où Johnny, évitant miraculeusement les balles qui sifflent de partout, et dézinguant les hommes de mains à tout va, prend le temps d’habiller les cadavres d’une veste trouée qui seule peut lui permettre de savoir s’il a bien tué le chef mafieux et accompli sa vengeance… Complètement idiot…
Mais avant cela, d’autres séquences sont tout aussi improbables, comme cette bataille rangée opposant la petite bande des alliés de Costello, planqués derrières des ballots de foin, à une horde de tueurs suréquipés sortis d’on-ne-sait-où.
Certains m’objecteront que ce côté excessif et délirant est tout à fait courant dans le cinéma hongkongais, presque une figure imposée. Et que c’est justement cela qui a fait la réputation des œuvres d’un John Woo, par exemple.
Certes… Il est vrai que quand Chow-Yun Fat affronte quasiment seul des centaines de gangsters dans un gigantesque hôpital (A toute épreuve), c’est tout aussi absurde. Et pourtant, on se laisse prendre à l’histoire et on applaudit au déluge d’action spectaculaire qui nous est proposée…
Peut-être parce que John Woo, tout comme Tsui Hark ou Ringo Lam, a toujours eu une approche ludique du genre, et sait insuffler en permanence un rythme trépidant à ses films qui ne laisse pas le temps au spectateur de se pencher sur le côté absurde du récit. Johnnie To, lui, s’est peu à peu enfermé dans le statut d’un cinéaste plus sérieux, abordant le genre au premier degré, et il a toujours privilégié un rythme moins trépidant, car prenant le temps d’afficher une certaine recherche esthétique très « auteurisante ».
Il est vrai que depuis quelques films (Sparrow, Mad detective,…), il tente de casser cette image. Pourquoi pas… Mais encore faut-il procéder par étapes et éviter de se compliquer la tâche avec des contraintes scénaristiques ou artistiques insurmontables.
Outre ce scénario inutilement boursouflé, qui empile trois idées directrices (la vengeance, le choc culturel entre Costello et les hongkongais, la perte de mémoire) sans en exploiter véritablement une seule, la direction d’acteurs pose problème. Choisir un acteur français peu expérimenté pour incarner le personnage principal sans vraiment maîtriser la langue n’était pas franchement une bonne idée. Johnny Hallyday joue faux et Johnnie To n’a pas été en mesure de le diriger correctement.
Côté frenchies, on se demandera également l’intérêt de confier un rôle aussi insignifiant à Sylvie Testud, qui n’a ici guère l’occasion d’exprimer ses talents d’actrices…
Mais même les acteurs hongkongais ne brillent pas vraiment, à l’image de ce méchant trop caricatural, joué par un Simon Yam qui fait le minimum syndical… Seul Anthony Wong, paradoxalement plus «melvillien» que Johnny Hallyday, parvient à tirer son épingle du jeu et à insuffler un peu d’âme à ce film d’action terriblement creux.
On ne pourra s’empêcher de penser que le résultat est un beau gâchis, car malgré tous ses défauts, Vengeance est porté par une mise en scène irréprochable. Johnnie To est un bon cinéaste, c’est indéniable, et sa réalisation est parfois brillante et inspirée. C’est la seule raison valable qui pourrait justifier sa présence au dernier festival de Cannes. Il y fut, hélas, le plus mauvais film de la compétition, et je ne saurais raisonnablement le conseiller à quelque cinéphile que ce soit. Ni même aux fans de Johnny, ou de Johnnie…
Note :
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