En annonçant son intention de créer à Montréal un studio destiné à produire des films ou des séries adaptés de ses licences de jeux, l'éditeur français confirme sa stratégie de développement au Canada. A la clé, il prévoit de créer, à l’horizon 2013, plus d’un millier d’emplois. Eidos, éditeur de Tomb Raider, suit le mouvement et, en s'implantant à son tour à Montréal (qui devient une véritable marque de fabrique synonyme d'excellence) rejoint ses concurrents déjà présents sur place.
Ces annonces ne sont pas surprenantes. La politique volontariste, mise en place depuis 10 ans par le gouvernement
canadien pour attirer les entreprises du secteur, a porté ses fruits au-delà de toutes ses espérances. Elle a
permis de créer un cercle vertueux très attractif qui rappelle celui
créé autour d’Hollywood dans le domaine du cinéma. Les gains de
productivité attirent les éditeurs. Il se crée alors un terreau riche
en savoir-faire qui attire sur place de nombreux talents. Ce terreau
permet d’attirer de nouvelles productions qui, à leur tour, génèrent du
cash.
L’annonce d’Ubisoft a sonné comme un nouveau coup de tonnerre en France. Il semble que les
politiques et les institutions françaises prennent conscience un peu
tard de l’effet d’attractivité énorme du Canada en matière de contenus
numériques.
Mais ne prendre en compte que cette donnée économique pour expliquer
l’attractivité de Montréal serait une erreur. Le Québec est une
passerelle culturelle entre l'Europe et l'Amérique. Les créateurs
européens, et notamment français, sont nombreux sur place. S'attacher leur service, c'est pour un
éditeur américain comme Electronic Arts, une façon de créer des titres à moindre frais (grâce aux aides
fiscales) en ayant l’avantage de les modeler davantage au goût
européen. Pour un éditeur européen c’est, à l’inverse, une façon de
penser américain tout en conservant certaines
valeurs européennes. Quand on sait ce que représente le marché
américain dans le domaine du jeu vidéo c’est indispensable.
Au-delà du jeu vidéo, c’est un enjeu culturel plus vaste encore qui se
joue : celui de l’entertainment numérique qui pourrait progressivement
se déplacer d’Hollywood à Montréal. Non, non, je ne délire pas. Quand on
voit la façon dont certaines séries ou certains films s’inspirent
désormais des jeux vidéo, quand on constate l’impact croissant des
effets spéciaux et de la 3D dans le cinéma contemporain, quand on imagine
l’importance que les mondes virtuels vont jouer dans la communication
et les loisirs de demain, on se dit que les producteurs de jeux ont
tous les atouts pour se retrouver au cœur du processus de création des contenus du futur.
En ce sens, l’annonce d’Ubisoft peut faire réfléchir. En choisissant
d’implanter son pôle de cinéma à Montréal, Ubisoft élargit son rayon d'action : il déborde le cercle du jeu vidéo pour investir le domaine plus vaste du divertissement numérique. Par ce choix, il se détourne également du mode de production audiovisuel français, optant pour un mode de production anglo-saxon, sans doute plus adapté à sa stratégie de développement mondiale. Si le modèle français a permis de maintenir vivante la production
cinématographique dans notre pays, il semble désormais montrer des limites, au moment de la convergence
des médias et des nouveaux modes de diffusion. Avec le succès croissant
des sites de vidéo sur Internet, des programmes téléchargeables sur
consoles, ipods et bientôt iphones, les films du futurs ne se
regarderont sans doute plus de la même façon. Ils ne seront sans doute
plus formatés comme ils l’ont été pendant de nombreuses années, à
l’image du film traditionnel du dimanche soir, remplacé récemment par
des séries. La révolution numérique ne fait que commencer. On peut
imaginer, dores et déjà, de nouvelles formes de fictions
téléchargeables et interactives, de nouveaux espaces vidéoludiques
mélangeant fiction et réalité, de nouvelles formes de divertissement créées à
partir de mondes virtuels, que sais-je encore ? Ce n’est pas non plus
par hasard si des opérateurs Internet comme Bell, eux aussi au Canada, se sont
mis à financer un grand nombre de contenus liés aux nouveaux médias,
augmentant la demande en haut-débit (technologie dans laquelle le
Canada était en retard par rapport à la France) espérant prendre
progressivement la place des diffuseurs traditionnels.
A travers l'évolution des technologies numériques, c’est toute l’industrie de
l’entertainment qui se joue. On parle depuis dix ans de convergence.
Elle est là. Et si les créateurs de jeux vidéo étaient justement les
mieux placés pour tirer leur épingle du jeu dans cette guerre
culturelle qui s’annonce ? Hollywood à Montréal ?
PS : une info intéressante, parue ce jour, illustre mes propos sur l'évolution de la télévision. A lire sur Ecrans.
Illustration : Lara Croft, packaging Tomb Raider Legend, Eidos.