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Les Chevaliers du jeu vidéo : version Maurice, Baphomet ou Table ronde ?

Publié le 12 mars 2007 par Eric Viennot

Holygrail210 Le Ministre de la Culture me remettra demain les insignes de Chevalier des Arts et Lettres en même temps qu'à Peter Molyneux (qu’on ne présente plus) et qu'à Antoine Villette (Alone IV, Cold Fear). Bon ça changera pas ma vie (je suis très rarement en costard et ne pourrai donc pas arborer fièrement les insignes, au désespoir de ma mère...) mais ça fait toujours plaisir de recevoir ce genre de distinction. Bien qu’un peu déçu de ne pas me retrouver aux côtés de Uma Thurman, promue l’an dernier, ou de Pénélope Cruz, promue il y a deux ans, c'est quand même bien sympa de se retrouver à cette occasion dans la "promo" de Peter Molyneux !
Toute la profession voit plutôt d’un bon œil ce genre de cérémonie qui braque les projecteurs sur le jeu vidéo, sous un angle plus valorisant que celui auquel il a droit, la plupart du temps, dans les grands médias : violence, addiction, infantilisation... Ce côté folklorique et vieille France ne gène pas grand monde, au contraire. Voilà pour la version Maurice.
Mais à travers cette cérémonie anodine, ce sont d’autres enjeux, plus souterrains, qui se profilent.

Après la première vague constituée l’an dernier de Shigeru Miyamoto, Michel Ancel, Frédérick Raynal, les pouvoirs publics français souhaitent, à travers cette nouvelle promotion, enfoncer une nouvelle fois le clou sur le thème « le jeu vidéo, c’est culturel ». Au moment où la Commission européenne étudie l’éligibilité du crédit d’impôt français sur les bases juridiques liées à l’exception culturelle, il est opportun de montrer, à travers ses distinctions, que derrière certains jeux vidéo figurent des auteurs, en un mot que le jeu vidéo a tous les attributs d’un projet culturel. Et c’est là où l'on arrive au sujet complexe, quasi ésotérique, du statut des auteurs : ma version Baphomet.
Depuis 3 ou 4 ans, le statut des auteurs est, en coulisse, au cœur des discussions liées au crédit d’impôt. Ces discussions déchirent la profession. Editeurs et développeurs, et même développeurs entre eux, ne sont pas tous d’accord sur le sujet. Rentrer sous le giron de la culture c’est, de fait, considérer le jeu vidéo, non pas comme un simple logiciel (ce qu’il est par exemple aux yeux du Sell, Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir) mais comme une œuvre (ce qui serait plus en accord avec les actions menées par l’Apom, association des producteurs d'œuvres multimédia). En même temps, beaucoup de développeurs l’admettent : tous les jeux vidéo ne sont pas des œuvres d’auteur, et le mode de création de beaucoup de jeux s’apparente davantage à un mode de création collectif. En ce sens, le régime juridique de l’œuvre collective, sous lequel est produit la grande majorité des jeux en France, arrange beaucoup de monde, notamment parce qu’il facilite la vente des jeux à l’export et simplifie les rapports avec les éditeurs et les constructeurs. Contrairement à un film, il est important de rappeler qu’un jeu ne peut pas être rentabilisé sur le seul territoire français. De fait, à quelques exceptions près, la plupart des auteurs de jeux vidéo sont, comme c’est mon cas, salariés de leur propre entreprise. Ils sont donc très peu à être rémunérés en droits d’auteur.
En parallèle, on sent pourtant un phénomène de fond monter en faveur des auteurs. La presse spécialisée, mais également de plus en plus de gamers avertis identifient tel ou tel jeu à tel ou tel créateur. Ils suffit de lire les forums spécialisés pour constater comment ces gamers passionnés suivent la carrière des créateurs, guettent leurs déclarations et la sortie de leur dernière production. Avec le temps, certains créateurs sont même parvenus à accéder une reconnaissance internationale. Parmi les plus connus on peut citer Miyamoto, Molyneux, Wright, Kojima, Mikami. Beaucoup de japonais évidemment. Mais la liste s’allonge au fil des mois, au fur et à mesure que le jeu vidéo acquiert ses lettres de noblesse et que la technologie permet à des gamedesigners d'exprimer une vision personnelle et originale. En un sens, le rôle joué par des créateurs comme Fumito Ueda sur Ico et Shadow of the Colossus, Michel Ancel sur Beyond Good and Evil, David Cage sur Fahrenheit s’apparente assez à celui d’un auteur ou d’un réalisateur de film.
Cette reconnaissance arrive donc à point nommé. Elle permettra sans doute de faire avancer notre domaine en lui permettant de s’émanciper du secteur de l’informatique qui l’a vu naître et se structurer. En tous cas, les créateurs de jeux français dans leur grande majorité sont conscients qu’il est temps de se mettre autour d’une table (ronde de préférence!) afin d’évoquer enfin la question. Ces discussions aboutiront peut-être à mieux définir ce qu’est la propriété intellectuelle dans le domaine jeu vidéo, avec, éventuellement la création d’une société d’auteurs spécifique. On ne peut pas revendiquer d’un côté la notion d’œuvre culturelle afin de pouvoir bénéficier des aides qui vont avec, et repousser sans cesse la question du statut des auteurs. Si ce ne sont pas les créateurs eux-mêmes qui s’en occupent, d’autres s’en chargeront à leur place.

PS : illustration Image extraite du film Sacré Graal, Monty Python (1975)


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