L’idée de primaires pour désigner le candidat du PS à l’élection présidentielle a fait son chemin, au point de devenir le centre de l’activité du secrétariat national à la rénovation d’Arnaud Montebourg, via une commission ad hoc. Si ce concept n’est pas nouveau – la procédure a déjà été utilisée pour les présidentielles de 1995 et de 2007 – le format sur lequel commence à se créer un consensus – primaires ouvertes, dûment codifiées et organisées à l’avance – aura des conséquences lourdes sur la vie et le fonctionnement du parti socialiste. Raison de plus pour suivre de près les travaux de cette commission - d’autant que les médias commencent à s’y intéresser sérieusement.
Je laisse de côté les questions techniques d’organisation, dont la solution réside en un compromis entre les contraintes matérielles réelles et les souhaits des différents courants. De même pour la question du corps électoral (militants, sympathisants ?), qui revient au débat général sur la conception du parti et de ses militants. Je m’intéresserai ici à un point beaucoup plus fondamental, celui du champ d’application de la primaire.
Les travaux de la commission sur les primaires ouvertes sont partis d’emblée sur l’hypothèse d’une primaire socialiste, à savoir ne visant qu’à désigner le premier des socialistes, même si le corps électoral est largement ouvert. Or il existe une autre possibilité, plus audacieuse certes, mais répondant mieux aux problèmes structurels de la gauche française : la primaire de toute la gauche. A savoir, un scrutin permettant de désigner, dès avant le premier tour, un candidat unique des forces de gauche face à la droite.
Une primaire de ce type est sans doute passablement plus compliquée à concevoir. Mais pour autant, le premier parti de gauche peut-il l’écarter d’un revers de main ? Dans une interview accordée au Nouvel Observateur , Arnaud Montebourg rejette l’hypothèse d’une primaire de toute la gauche en expliquant qu’elle existerait déjà, et ne serait rien d’autre que le premier tour de la présidentielle – ce qui est à la fois bien rapide, et contestable. L’observation de la composition de la « commission primaire » nous donne un autre élément d’explication sur ce rejet : elle est co-dirigée par le président du cercle de réflexion Terra Nova, Olivier Ferrand, qui a publié avec Olivier Duhamel, à l’automne dernier, un rapport sur le sujet. A sa lecture, il semble avoir largement inspiré, avec la campagne de Barack Obama, la réflexion actuellement conduite par Arnaud Montebourg. Que dit-il d’une primaire de toute la gauche ? Elle est rejetée par deux arguments : premièrement, l’extrême-gauche refuserait de participer à une telle procédure, et la gauche en sortirait donc plus clivée encore ; deuxièmement, les petits partis de la gauche gouvernementale tenteraient aussi de l’esquiver, de peur de se priver de la manne financière et médiatique offerte par la participation à l’élection présidentielle. Cette démonstration aboutissant là encore à cette sentence définitive : la primaire de toute la gauche existe déjà, « efficace, parfaitement organisée et fortement médiatisée : il s’agit du premier tour de l’élection présidentielle » (p. 65 du rapport).
Cette réflexion ne me semble pas satisfaisante. Commençons par l’affirmation selon laquelle l’émiettement de la gauche au premier tour de la présidentielle constituerait déjà une primaire satisfaisante. Cela va à l’encontre de tout ce qui est dit par ailleurs d’une primaire réussie : cadrée, et préparée à l’avance pour permettre avant le scrutin décisif une réconciliation du candidat victorieux avec les candidats malheureux, et un apaisement des tensions de la campagne interne. Dans le cas d’un premier tour d’élection présidentielle, les partis de gauche disposent d’à peine deux semaines pour se rassembler derrière le candidat passé au deuxième tour (quand il y en a un !), après avoir passé des mois à se confronter durement, du fait des logiques médiatiques que soulignent à juste titre Oliver Duhamel et Olivier Ferrand dans leur rapport. Combien de voix de gauches égarées au passage ! Comment constituer une dynamique mobilisatrice, vrai atout de la primaire, dans de telles conditions ?
Reste l’autre objection – le reste de la gauche ne suivrait pas le PS si nous proposions une primaire unitaire. C’est oublier la particularité de la situation présente : l’adversaire politique que nous avons face à nous, Nicolas Sarkozy et une droite des plus dures. Face à cet adversaire, toute formation de gauche qui refuserait de se joindre à un processus unitaire honnête et équitable se rendrait responsable, aux yeux des électeurs de gauche, de la mise en difficulté de toute sa famille politique, et de la reconduction de Nicolas Sarkozy. Position difficilement tenable moralement et politiquement, et risquant, surtout, de provoquer une hémorragie électorale vers la candidature de rassemblement. L’extrême-gauche, en refusant la primaire, ne cliverait pas ; elle se marginaliserait, son sectarisme ou son cynisme éclatant au grand jour. La candidature unitaire, elle, bénéficierait d’une dynamique incomparablement plus forte que celle générée par le seul PS, du fait du nombre de Français engagés, et du caractère historique d’une telle démarche. Remarquons au passage qu’un rassemblement de toutes les composantes de la gauche n’est pas une pure utopie ; il s’est concrétisé récemment, aux municipales 2008, Arlette Laguiller justifiant précisément la participation de LO aux listes d’union de la gauche par la dureté de la droite.
Sans doute des primaires de toute la gauche seraient-elles fort complexes à organiser. Mais ce qui est préoccupant est qu’elles ne soient même pas, en l’état de chose, envisagées par le PS. Par mimétisme avec le Parti démocrate (parti unique de la gauche américaine, donc en situation fort différente), par désir inconscient d’un PS hégémonique ? Ne nous y trompons pas : la constitution d’un grand parti de gauche n’est pas le préalable, mais la conséquence, de primaires unitaires. A vouloir d’abord assécher l’électorat de ses « partis frères » (et c’est aussi comme cela que serait interprétée une primaire ouverte du seul PS), le parti socialiste ne fera que rendre plus difficile encore le rassemblement – pourtant inévitable – avec eux.
Pour toutes ces raisons, la « commission primaires » devrait inclure, dans son programme de travail, l’hypothèse de la primaire ouverte de toute la gauche. Elle pourrait travailler à deux scénarios, l’un, ambitieux, de primaire générale, l’autre, de repli, de primaire limitée au PS, en cas de refus de nos partenaires. A défaut, nous risquons de nous heurter une nouvelle fois à ce que confirment actuellement les sondages sur les élections européennes : la gauche divisée, même victorieuse idéologiquement, est toujours moins forte que la droite unie.
Romain Pigenel
Article à paraître dans le numéro 149 de la Tête A Gauche