Alors que la PS3 vient de sortir en Europe dans une quasi indifférence générale (pour ne pas dire plus…), une question récurrente s’est retrouvée au centre des conversations que j’ai eues ces dernières semaines avec de nombreux professionnels de l’industrie : qui sont ces fameux casual gamers dont tout le monde parle ? A quels jeux jouent-t-ils ? Quel genre de gameplay doit-on leur proposer ?
Etonnamment ces questions anodines peuvent avoir un lien avec le désintérêt actuel du grand public pour la PS3. Je m’explique.
Le casual gamer (ou joueur occasionnel en bon français) a toujours été, pour de nombreux éditeurs, une sorte d’extraterrestre difficile à identifier. Et pour cause : il ne fréquente pas les forums de jeux vidéo, ne lit ni la presse, ni les sites spécialisés, et, jusqu’à ces dernières années achetait trop peu de jeux pour avoir l’honneur d’être référencé dans leurs bases de données. S’il est facile de faire un portrait du hardcoregamer (en gros, une personne de sexe masculin âgé de 10 à 30 ans), il est beaucoup plus difficile de faire un portrait type du casual gamer. En effet, celui-ci peut se cacher sous les traits d’individus bien différents : un papy jouant aux échecs sur Internet, un père de famille affrontant ses enfants à Mario Kart, une quinquagénaire exerçant ses neurones à Brain training, ou une petite fille élevant ses chiots dans Nintendogs… Mais les choses évoluant très vite, on s’aperçoit, pour compliquer la donne, que de nombreux « vieux » gamers de 30 ou 35 ans commencent à leur tour à grossir les troupes des joueurs occasionnels. Pourquoi ?
D’abord, tout simplement, parce qu’en entrant dans la vie professionnelle, certains ont dû renoncer à leur passion ou tout au moins réduire le nombre d’heures passées devant un écran de jeu. Ensuite, parce qu’en parallèle, les éditeurs ont privilégié, depuis une dizaine d’années, les spécialistes passionnés. Tentez par exemple de vous mettre au dernier RTS (jeu de stratégie en temps réel) sorti récemment. Si vous n’en avez pas suivi toutes les évolutions du genre, assimilé tous ses codes, il y a de grandes chances pour que vous laissiez tomber, rendu à la vingtième page de la notice. En se spécialisant en genres de plus en plus pointus, les jeux vidéo se sont ainsi engagés dans de véritables impasses afin de satisfaire, en priorité, une poignée de fidèles de plus en plus exigeants. Fidèles, au demeurant, très conservateurs. Essayez donc d’apporter des phases d’action même minimes dans un jeu d'aventure (Paradise, Dreamfall, Fahrenheit…), tentez de renoncer au réalisme dans un FPS (XIII, Killer 7…), essayez d’abandonner l’inventaire dans un jeu action-aventure (Ico, King Kong…) ou de supprimer les zombies sanguinolents dans un survival horror : à part les joueurs multi genres ouverts aux nouvelles expériences, il y a fort à parier que la majorité des gamers ne vous suive pas.
Pour conserver la fidélité des hardcoregamers (leur cœur de cible comme disent les marketeux) les éditeurs de jeux vidéo ont abandonné au passage une partie des troupes qui les avait accompagné au début et, en se refermant sur eux-mêmes, ont renoncer à toucher de nouveaux publics.
Nintendo a su tirer avant les autres les conclusions de cet échec. La DS, puis la Wii sont des réponses pour tenter d’enrayer le phénomène, ouvrir une brèche, sortir de cette spirale élitiste infernale.
En proposant des expériences de jeu plus accessibles et moins consommatrices de temps ou, pour la DS, adaptées à la mobilité des joueurs, ces nouvelles consoles ont réussi à grossir la petite troupe des joueurs occasionnels. Du coup, la troupe devient bataillon. Le joueur occasionnel n'est pas loin de devenir la norme. Ta grand mère c'est le joueur de demain ! Cela explique pourquoi certains jeux comme Brain Training squattent la tête des ventes depuis plusieurs mois.
Cette évolution remet beaucoup de choses en question pour les éditeurs et les créateurs. Comme me le disait Frédéric Raynal il y a quelques jours, en 20 ans on a appris à créer des mécaniques de jeux de plus en plus rodées, des boucles de gameplay de plus en plus complexes et on s’aperçoit maintenant que tout cela est quasiment à jeter aux oubliettes si l’on veut toucher ces nouveaux publics. Un retour aux sources en quelque sorte.
Mais revenons à notre PS3. Entre la X-Box dimensionnée pour répondre aux appétits des hardcoregamers et la Wii dédiée aux joueurs occasionnels, y-a-t-il une place pour la dernière arrivée ? Parce que tous les gamers ne sont pas des inconditionnels de jeux hyperréalistes, et parce que tous les joueurs occasionnels (notamment ces « vieux » gamers dont j’ai parlés), ne sont pas tous des inconditionnels des fun party games proposés majoritairement sur la Wii, je suis convaincu qu’il reste une troisième voie. La PS1 et la PS2 étaient des machines de gamers mais leur succès était dû aussi à leur capacité de toucher un public plus large, plus familial, grâce à des titres comme Crash Bandicot, Jack & Dexter, Rayman, Sonic, Tony Hawk ou Gran Turismo. Un truc symptomatique par exemple : lors de la dernière GDC de San Francisco le jeu qui a créé le plus de buzz s’appelle Little Big Planet : un jeu aux antipodes des jeux next gen qui ont fait la réputation de la X-box 360 : des persos tout mignons, des décors en carton pâte, un gameplay rafraîchissant, basé sur la collaboration plutôt que sur le combat... Et pourtant, un jeu PS3 !
Mais j’y pense… Si en suivant ce raisonnement, le pire ennemi de la PS3 n’était ni la X-Box, ni la Wii mais justement, la machine que ta grand-mère vient d’acheter pour surfer sur le net ? ça s’appelle un PC c’est ça ?
PS : Tiens, on vient d'avoir le classement de la semaine dernière. Parmi les 10 meilleures ventes console il y a quand même 9 jeux PS3 et 1 PS2... Sony bouge encore les mecs !
Illustration : extrait de Grandma plays "Resistance : Fall of Man" : hilarant !