Les jeux vidéo sont passés en moins de 30 ans d'un artisanat de garage à une industrie de type hollywoodienne. Cela ne s’est pas fait sans conséquence. Alors qu'il suffit de 5000 lecteurs pour amortir la publication d’un livre, il en faut désormais 100 fois plus, au minimum, pour amortir la production d’un jeu. L’industrie du jeu vidéo possède ce point commun avec celle du cinéma. Mais, alors qu’un film d’auteur parvient à trouver un mode de financement et de distribution grâce à un système d’amortissement en cascades qui peut durer plusieurs années (entrées en salle, droits télé, Dvd…), un jeu doit se rentabiliser en quelques mois seulement. Une production atypique a ainsi beaucoup de mal à trouver sa place dans un marché culturel immature, encore trop dépendant des avancées technologiques pour laisser place à des oeuvres alternatives. C’est pour cette raison que la sélection à l’entrée est de plus en plus draconienne. Nous avons chez Lexis quelques projets qui ont fait les frais de cette politique et qui n’ont jamais pu voir le jour. Spirit fait ainsi partie de ces jeux que vous ne verrez jamais.
Créé en 2000-2001, le concept a été présenté pour la première fois au Milia
2002, en même temps qu’In Memoriam.
L’action se passe dans un cirque, dans les années 1930.
Voici la cinématique d'intro du jeu (soyez indulgents, elle a été faite il y a 6 ans - cf ma remarque plus haut sur la durée de vie des jeux...)
Pendant
son sommeil, un jeune garçon (Spirit) doit parvenir à entrer dans
l’esprit de certaines personnes de son entourage, ceci afin de se
préserver d’un maléfice provoqué par une sombre vengeance familiale.
Pour cela, il doit s’incarner dans les objets quotidiens afin
d’atteindre certains objets « fétiches » qui jouent le rôle de portes permettant d'accéder au monde des esprits.
Vous l’aurez compris, il
s’agissait d’un jeu action-aventure laissant une large place à la
psychologie des personnages et au scénario. Mais le jeu, loin d’être un
simple jeu d’aventure se démarquait également par un gameplay très innovant,
basé sur l’utilisation de la physique dynamique. Le joueur pouvait
ainsi utiliser les propriétés physiques des objets dont il prenait
possession (allumette, plume, boule, feuille, goutte d’eau, glaçon…).
Cela donnait lieu à de multiples combinaisons pour réussir
telles ou telles missions. Les éditeurs, dans l’ensemble, ont tous trouvé
le projet original et intéressant mais certains jugeaient l’univers «
trop dark », d’autres « pas assez urbain », « trop français » ou encore « trop compliqué » Certains jugeaient que
c’était un gameplay console dans un univers de jeu typiquement PC,
d’autres trouvaient que l’univers était adulte mais le gameplay
enfantin, bref personne n’a osé miser sur Spirit. Rétrospectivement, je
trouve que le projet était très ambitieux, trop sans doute. Tous les éléments
du jeu étaient innovants et rien ne permettait de le rattacher à
quelque chose de connu. Pour qu’il sorte un jour, il aurait peut-être
fallu faire des concessions : conserver l’univers et le background mais
partir d’un gameplay déjà connu, ou bien miser sur l’originalité du gameplay
mais l’adapter à un univers plus fédérateur. Ce que nous n’avons pas
souhaité faire.
Certains gamers se plaignent, y compris sur ce blog, du manque d’originalité des jeux actuels.
Je
me souviens d’une anecdote qui reflète la philosophie de trop nombreux
éditeurs de jeux vidéo, responsable en partie de cet état de fait. Cette anecdote raconte comment Staline, en visite dans
les studios russes s’inquiétait des dépenses faramiseuses que coûtaient ces studios
à l'Etat.
- Combien de films produisez-vous chaque année ?
- Une trentaine, camarade.
- Et sur ces films combien d'entre eux touchent un large public ?
- En moyenne, 5 environ !
- Bien dorénavant, nous ne produirons que ces 5 films !
PS : je suis tombé ce matin sur une interview intéressante de John Romero (Doom, Quake), développeur très éloigné de ma sensibilité, qui semble pourtant rejoindre certaines des thèses développées sur ce blog, concernant l'avenir des nouvelles consoles. Vu sur Gamebe.