Le jeu auquel vous ne jouerez jamais

Publié le 11 avril 2007 par Eric Viennot

Combien y a t-il de jeux qui, faute d'avoir trouvé un éditeur, sont restés dans les cartons des studios ? Combien sont-ils ces projets, étonnants, originaux, décalés, loin des sempiternels jeux de guerre ou de l’heroic fantasy, que ni vous, ni moi, n’avons jamais vus ou même n’avons jamais entendu parler ? Pas assez fédérateurs pour toucher un large public. Pas suffisamment classifiables pour toucher un public précis. Pas assez commerciaux pour trouver un financement...

Les jeux vidéo sont passés en moins de 30 ans d'un artisanat de garage à une industrie de type hollywoodienne. Cela ne s’est pas fait sans conséquence. Alors qu'il suffit de 5000 lecteurs pour amortir la publication d’un livre, il en faut désormais 100 fois plus, au minimum, pour amortir la production d’un jeu. L’industrie du jeu vidéo possède ce point commun avec celle du cinéma. Mais, alors qu’un film d’auteur parvient à trouver un mode de financement et de distribution grâce à un système d’amortissement en cascades qui peut durer plusieurs années (entrées en salle, droits télé, Dvd…), un jeu doit se rentabiliser en quelques mois seulement. Une production atypique a ainsi beaucoup de mal à trouver sa place dans un marché culturel immature, encore trop dépendant des avancées technologiques pour laisser place à des oeuvres alternatives. C’est pour cette raison que la sélection à l’entrée est de plus en plus draconienne. Nous avons chez Lexis quelques projets qui ont fait les frais de cette politique et qui n’ont jamais pu voir le jour. Spirit fait ainsi partie de ces jeux que vous ne verrez jamais.

Créé en 2000-2001, le concept a été présenté pour la première fois au Milia 2002, en même temps qu’In Memoriam.
L’action se passe dans un cirque, dans les années 1930. Voici la cinématique d'intro du jeu (soyez indulgents, elle a été faite il y a 6 ans - cf ma remarque plus haut sur la durée de vie des jeux...)


Pendant son sommeil, un jeune garçon (Spirit) doit parvenir à entrer dans l’esprit de certaines personnes de son entourage, ceci afin de se préserver d’un maléfice provoqué par une sombre vengeance familiale. Pour cela, il doit s’incarner dans les objets quotidiens afin d’atteindre certains objets « fétiches » qui jouent le rôle de portes permettant d'accéder au monde des esprits.

Vous l’aurez compris, il s’agissait d’un jeu action-aventure laissant une large place à la psychologie des personnages et au scénario. Mais le jeu, loin d’être un simple jeu d’aventure se démarquait également par un gameplay très innovant, basé sur l’utilisation de la physique dynamique. Le joueur pouvait ainsi utiliser les propriétés physiques des objets dont il prenait possession (allumette, plume, boule, feuille, goutte d’eau, glaçon…). Cela donnait lieu à de multiples combinaisons pour réussir telles ou telles missions. Les éditeurs, dans l’ensemble, ont tous trouvé le projet original et intéressant mais certains jugeaient l’univers « trop dark »,  d’autres « pas assez urbain », « trop français » ou encore « trop compliqué » Certains jugeaient que c’était un gameplay console dans un univers de jeu typiquement PC, d’autres trouvaient que l’univers était adulte mais le gameplay enfantin, bref personne n’a osé miser sur Spirit. Rétrospectivement, je trouve que le projet était très ambitieux, trop sans doute. Tous les éléments du jeu étaient innovants et rien ne permettait de le rattacher à quelque chose de connu. Pour qu’il sorte un jour, il aurait peut-être fallu faire des concessions : conserver l’univers et le background mais partir d’un gameplay déjà connu, ou bien miser sur l’originalité du gameplay mais l’adapter à un univers plus fédérateur. Ce que nous n’avons pas souhaité faire.
Certains gamers se plaignent, y compris sur ce blog, du manque d’originalité des jeux actuels.
Je me souviens d’une anecdote qui reflète la philosophie de trop nombreux éditeurs de jeux vidéo, responsable en partie de cet état de fait. Cette anecdote raconte comment Staline, en visite dans les studios russes s’inquiétait des dépenses faramiseuses que coûtaient ces studios à l'Etat.
-    Combien de films produisez-vous chaque année ?
-    Une trentaine, camarade.
-    Et sur ces films combien d'entre eux touchent un large public ?
-    En moyenne, 5 environ !
-    Bien dorénavant, nous ne produirons que ces 5 films !

PS : je suis tombé ce matin sur une interview intéressante de John Romero (Doom, Quake), développeur très éloigné de ma sensibilité, qui semble pourtant rejoindre certaines des thèses développées sur ce blog, concernant l'avenir des nouvelles consoles. Vu sur Gamebe.