Changement et Russie

Par Christophefaurie

En lisant Max Weber, je me suis demandé pourquoi il semblait voir la Russie comme un mal menaçant d’anéantir la civilisation. Haine éternelle de l'Allemand pour le Slave ? J’ai cherché à me renseigner et j’ai acheté Histoire de la Russie et de son empire, de Michel Heller, Flammarion 1999. 1000 pages sur les dix siècles qui ont précédé le communisme (qui a droit à un bref chapitre de conclusion).

Je n’ai pas eu la réponse à ma question. Possiblement il ne s’agissait de rien d’ancré dans la conscience allemande, plutôt d’une lubie de création récente. En tout cas, ce livre est remarquable, et remarquablement facile à lire.

Au fond ce que je cherchais était, comme d’habitude, d’identifier les « invariants » du comportement russe. Là aussi, je ne suis pas sûr d’avoir atteint mon but. Voici ce que je retiens :

Impérialisme défensif

Ce qui semble pousser la Russie depuis ses origines, c’est un « impérialisme défensif » : à chaque fois qu’elle conquiert un nouveau pays, elle se sent menacée par ses nouveaux voisins, qu’elle se sent obligée de conquérir.

Son histoire, partie communiste inclus, paraît celle de cette expansion. Au début, au neuvième siècle, c’est l’instabilité. Les Varègues (les Vikings de l’est de l’Europe) puis les Mongols apportent un début d’organisation et de civilisation. Progressivement un pouvoir central apparaît, l’autocratie, marque de fabrique de la Russie quasiment jusqu’à nos jours. Le régime se transforme par étapes. Initialement, du haut en bas, la Russie est construite sur le modèle du servage. La noblesse doit un service obligatoire à l’état. Pour lui fournir les moyens dont elle a besoin pour sa mission, elle reçoit des terres et des paysans. En 1762 la noblesse est libérée du service obligatoire. Les paysans, eux, perdent le peu de liberté qu’ils avaient (celle de changer de propriétaire) et deviennent esclaves. Il faut attendre 1862 pour qu’ils soient libérés. Mais ils demeurent liés à une sorte de commune paysanne. Peu de temps après, le pays découvre son retard sur une Europe transformée par la révolution industrielle. Pour financer son comblement, le gouvernement russe a besoin que sa population soit riche donc entreprenante. Le Moujik doit découvrir l’individualisme, et le pays un semblant de démocratie. Comme souvent, le relâchement des contraintes va produire la dislocation. Un empereur faible, des aventures guerrières malencontreuses (guerre contre le Japon) qui révèlent cette faiblesse, l’agitation d’un parlementarisme mal maîtrisé et révolution.

Expansion, autocratie et Occident

C’est l’instabilité interne à la Russie qui en a été la cause. Pas la guerre de 14, qu’elle était en train de gagner. Car la Russie est indestructible : elle n’a jamais subi plus que des revers, son expansion a toujours repris. Sa force était son immensité, et sa capacité à sacrifier son peuple. (Et aussi peut-être une sorte d’humilité qui lui permettait d’absorber les innovations extérieures.) D’ailleurs, elle est toujours apparue une grande puissance à ses contemporains. La remarque de Tocqueville que j’ai citée plus bas, selon laquelle la Russie et l’Amérique domineraient le monde, a frappé ses contemporains par la place qu’elle donnait à l’Amérique. Si aujourd’hui la Russie ne nous impressionne plus, c’est probablement de la faute de l’invention du nationalisme. Les populations des marges russes se sont vues comme des nations colonisées, ce qu’elles n’ont pas accepté.

La Russie se dit de temps à autres « asiatique ». Probablement pour se démarquer de l’Occident. Car, en dehors de son territoire, rien de sa culture ne semble particulier à l’Asie, beaucoup y est réaction à l’Occident. Depuis l’origine elle semble courir derrière les idées et le progrès occidental tout en ayant la plus grande des peurs d’y perdre son âme. D’où la très grande inquiétude qu’elle eut vis-à-vis du totalitarisme catholique.

Communisme et avenir

Il est tentant de voir le communisme comme un refus du changement, ou, au moins, une transition plus douce que celle qu’entrevoyait l’administration de Nicolas II. Là où cette dernière proposait individualisme et démocratisation et semblait incapable d’endiguer le sécessionnisme des nations périphériques, l’URSS a maintenu l’autocratie, la communauté paysanne et agrandi l’empire russe, tout en poursuivant le progrès économique occidental.

Il est aussi tentant de penser qu’elle n’est pas bien équipée pour le monde d’aujourd’hui : son expansionnisme est bloqué, sa capacité à sacrifier son peuple est de peu d’utilité, et il n’est pas très entreprenant.

Compléments :

  • Il semble qu’il y ait une similitude certaine entre la motivation et les résultats des réformes faites par Nicolas II et Gorbatchev. Faut-il avoir une poigne de fer pour guider un pays sur le chemin de la liberté ? (Voir aussi Louis XVI en leader du changement.)
  • Sur les réformes post Gorbatchev : Changement en Russie.

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