Et non pas addition soustractive (dont on reparlera bientôt à propos de Lamarche-Vadel et de Panamarenko, dans la maison d’en face). On vous dira que l’exposition Spy Numbers, au Palais de Tokyo jusqu’au 30 août, parle de nombres mystérieux, d’encodage et de secrets. Peut-être, mais ce qui m’y a retenu, c’est le prélèvement, la soustraction.
Ainsi Pascal Broccolichi, avec son installation Sonotubes, prélève des sons, capture des ondes et les restitue dans l’espace de l’exposition. L’environnement se trouve ainsi saisi, récupéré, retraité. On va vers un bruit blanc, comme celui de Laurent Mareschal, vers un silence sonore.
Ainsi Luca Francesconi vole les sommets de montagne (ici l’Alpe de Gressoney), les rabote, les rapetisse et ce morceau de sommet soustrait à la nature est représenté ici, muséalisé, abstractisé (To Lower the Mountains). C’est le contraire des Artistes du Village de l’Est qui, eux, avaient surélevé la montagne d’un mètre avec leurs corps nus empilés (et qui, ensuite, se sont déchirés pour savoir qui avait le copyright de l’oeuvre, mais c’est une autre histoire).
Ainsi Felix Schramm montre aussi une Omission, pièce monumentale qui n’est que vide, que destruction, qu’effondrement, que saccage, crevant murs et plafonds, installation qu’on n’ose approcher, qu’on ne peut saisir.
Ainsi Jim Shaw soustrait des petites figurines à l’univers ludico-guerrier des cadeaux McDonald et les recrache, repeintes et agglomérées, pour construire ce monstre à traîne, émouvant en prétendant timide, une rose à la main (Heap, en haut).
Mais la soustraction au carré de cette exposition est dans la pièce présentée par Ken Gonzales-Day : c’est, bizarrement cassée dans un angle de la salle, une grande photo de lynchage aux États-Unis dans les années 1920, photographie où le cadavre du Noir pendu à un arbre a été ôté de l’image (Erased Lynching). Soustraction du corps du délit, certes, mais aussi soustraction d’une oeuvre, semble-t-il, puisque Mathieu Abonnenc montrait un travail similaire il y a un an et demi à Toulouse, et je relevais alors (en commentaire) la ressemblance entre les deux approches. Gonzales-Day date cette photo de 2006-2009, a commencé sa série en 2005 et a publié ce livre en 2006. Tous deux se sont sans doute inspirés du livre de James Allen, Without Sanctuary, publié en 2000. Si on peut faire abstraction des questions de plagiat éventuel ou d’inspiration, il aurait été élégant que les commissaires du Palais de Tokyo présentent un jeune artiste français émergent plutôt qu’un professeur d’université américaine, mais peut-être ne savaient-ils pas (peut-être ne vont-ils pas au Printemps de Septembre, peut-être ne lisent-ils pas ce blog…). Et ce d’autant plus que, comme je le disais déjà alors, la mise en scène d’Abonnenc dans une demie obscurité est bien plus forte, alors que celle du Palais de Tokyo, en pleine lumière, est plate et banale.
Addition de corps par contre, multitude de corps ajoutés, organisés, cadrés, jusqu’à 30 000 corps, dans les photographies d’ Arthur Mole et John Thomas, qui pendant et après la première guerre mondiale réalisent, perchés en haut d’une tour et au prix de semaines de préparation, ces photographies d’emblèmes, de signes composés au sol par des hommes assemblés. Des militaires le plus souvent, parfois des élèves, en tout cas des membres d’une collectivité organisée, que Foucault dirait répressive, prêtent leur corps en uniforme à une entreprise qui les dépasse, où ils ne sont plus qu’un élément, un point, un pixel, au service d’une idée plus large, d’un message collectif fort, qui, en même temps, les déshumanise. Voici ce qu’ont fait 21 000 officiers et soldats au Camp Sherman dans l’Ohio en 1918 : le Portrait vivant de Woodrow Wilson. Prouesse technique, merveille visuelle et mécanisme d’embrigadement militant, une photographie conceptuelle à sa manière. Du coup, devant ces dizaines de photographies de leurs exploits, je n’écoutais plus guère les nombres espions : c’est le principe un peu ‘auberge espagnole’ des lieux.
La viiste de l’exposition doit pouvoir se faire avec des messages audio-guides sur votre téléphone portable, mais le dispositif était en cours de réglage pendant ma visite, je ne peux rien vous en dire. Enfin, comme vous savez et comme j’en parlais avec un titre provocateur il y a peu, le Palais de Tokyo est tiré d’affaire; voyons comment va s’organiser ce nouveau projet, mais l’esprit des lieux est sauf.
Photos 1 à 4 de l’auteur.