"Le Cadran ligné", une nouvelle collection de poésie

Par Florence Trocmé

Une nouvelle collection de poésie
entretien avec Laurent Albarracin

Poezibao : vous êtes en train de créer une structure d’édition, Le Cadran Ligné, et je voudrais vous interroger sur ce qui vous a conduit à cette décision. J’ai employé spontanément le terme de structure d’édition plutôt que celui de maison, au vu de ce que je sais de votre projet. Est-ce justifié ?

Laurent Albarracin : plutôt que d'une maison d'édition, ou même d'une structure d'édition, je parlerais volontiers d'une collection de poésie, puisque l'idée, l'envie, est avant tout celle de créer une collection cohérente de poèmes qui reflèterait mes goûts, les tendances de mon seul bon plaisir ! Pas très envie d'emblée de développer économiquement la chose au-delà de la viabilité, de l'existence et du partage de ces petits livres limités chacun à cent exemplaires. La petite édition a en France une longue histoire et une vivacité qui suffisent à la légitimer. Il est assez naturel pour un poète de s'y intéresser (d'abord comme lecteur, afin de s'y repérer) puis peu à peu d'y venir, d'une manière somme toute fortuite. On noue des amitiés, on fait des rencontres, on a des lectures qui prennent vite l'allure d'un tout logique sinon harmonieux qu'il nous prend l'envie de donner à voir.
Mon parcours est d'abord celui d'un lecteur et je ne l'ai fait connaître, jusqu'à maintenant, qu'en donnant quelques notes de lectures (sur le site de Pierre Campion). Comme poète je crois pouvoir, je crois devoir me situer par rapport à d'autres, établir des préférences, dessiner quelques lignes de proximité entre certains d'entre eux. Ils ne sont pas si nombreux après tout ceux qui me semblent importants, qu'il faille les tenir éloignés les uns des autres. Je le répète, la décision de publier une collection de poésie vient tout naturellement je crois à qui en écrit. Pierre Peuchmaurd disait (en paraphrasant Maurice Blanchard) que « l'édition est une propriété de la poésie. »


Poezibao : comment vous est venue l’idée du modèle que vous comptez adopter et pouvez-vous nous le décrire ainsi que les principales caractéristiques de cette collection ?

Laurent Albarracin : il s'agit concrètement d'une collection de plaquettes soignées, constituées d'un unique feuillet plié en quatre recouvert d'une couverture à rabats, le tout imprimé sur du papier vergé Conquéror. Le format étant petit (11 x 15 cm) et la pagination réduite à une seule page (sans compter la page de faux titre, la page de titre et la page de l'achevé d'imprimer), chaque titre de la collection correspondra ainsi à un seul poème court, très court même puisque ne devant pas excéder dix vers environ faute de place sur la page. Ce qui me plait dans cette contrainte en partie liée au choix de coûts réduits de fabrication et de port, c'est bien sûr l'obligation d'excellence du poème, le fait qu'il devra tenir debout isolément, faire livre si je puis dire à lui tout seul. Cela implique pour moi un fonctionnement au coup de cœur absolu, chaque poème devant m'émerveiller assez pour le publier tel quel et non pas j'allais dire mitigé dans un ensemble. J'aime assez en poésie les notions de densité, d'évidence pour penser qu'un poème seul, par l'éclat qui peut être le sien, puisse mériter une édition à l'unité.
Je ne m'interdis pas la publication d'autres formes courtes que le poème : fragments, aphorismes, notes spéculatives.
Quant à l'idée de cette collection, de ce modèle de publication, elle m'est venue simplement par la connaissance de tentatives similaires. Je pense particulièrement à un poème magnifique de Jean Malrieu, « Le Menuisier de l'air », publié, sur ce principe du poème court unique, par les éditions Castor astral en 1976 sur un papier verdâtre et avec une illustration horrible mais le poème est tellement beau que c'en est un bonheur.

Poezibao : pouvez-vous dessiner un peu le paysage de ce « tout logique sinon harmonieux » dont vous parlez ?

L. A. : Il m'est assez difficile de dessiner les contours de ce paysage sans trop le restreindre. Disons que j'aime d'abord la poésie qui fonctionne à l'image, qui use de la métaphore comme d'un instrument de connaissance du réel. Ceci suffit à écarter pas mal de poètes d'aujourd'hui pour qui l'image est une chose démodée, ce que je ne m'explique pas, de même que je ne m'explique pas la désaffection que semble connaître toute la lignée poétique issue du surréalisme. Les plaisirs de la poésie et ceux de l'analogie se sont toujours confondus pour moi. La pensée poétique qui m'occupe me parait toujours aller par grands raccourcis, si l'on peut dire et concevoir cela, voyager de fulgurances en évidences sombres. Je ne cache pas également un goût pour une poésie philosophique qui oserait s'aventurer du côté des grandes et petites questions métaphysiques quand bien même celles-ci se réduisent à des riens. Je ne rejette pas non plus le lyrisme quand il est assez tendu pour ne pas se confondre avec une complaisance à soi-même. Les qualités d'humour d'un poème peuvent enfin m'émouvoir...

Poezibao : pouvez-vous parler des premiers contacts avec les poètes. Pour l’instant, c’est vous sans doute qui avez sollicité les poètes ? Avez-vous eu aussi à travailler avec les auteurs, les accompagner dans leur démarche, travailler le côté éditorial…?

L.A.  : pour le moment je n'ai fait que demander des poèmes aux amis les plus proches. Je ne pense pas devoir jamais « travailler » un poème avec des auteurs puisque j'ai bien l'intention de décider d'une publication selon le seul critère de l'enthousiasme immédiat. A la rigueur la question du titre peut ensuite se poser sur un poème appartenant à un ensemble qui me serait proposé, et serait en effet à décider avec l'auteur. Sans doute la collection accueillera dans un premier temps des poètes invités, sollicités, mais je n'ai rien non plus contre les candidatures spontanées, au contraire.

Le « Cadran ligné », une collection de livres « d’un seul poème », imprimés à 100 exemplaires sur papier vergé.

Première Série
Pierre Peuchmaurd, Le Papier
Anne-Marie Beeckman, La Mémoire de l’eau
Laurent Albarracin, Chaque horizon
Christian Viguié, Des Oiseaux

4 € l’ouvrage, 15 € la série, chèque à l’ordre de Laurent Albarracin, Le Mayne, 19700 Saint-Clément.