Cette opposition qui s’appelle la vie, de Jean-Marie Rouart

Publié le 29 mai 2009 par Jlhuss

On ne sait si Jean-Marie Rouart s’est donné comme mission de « couvrir » d’un opus annuel le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Personnellement, je n’en serais pas fâché. Après “Devoir d’insolence “, où l’immortel tenait l’éphéméride critique des premiers mois du prince, il récidive avec l’année 2008  ( de mars à décembre) dans un ouvrage au titre plus ambigu que le contenu : Cette opposition qui s’appelle la vie . J’avais dit naguère mon plaisir de lecteur ; je le renouvelle ici en des termes voisins, puisque la recette est la même. « Je m’efforce, annonce l’auteur dans la préface, d’éclairer les choses vues, les faits divers, la scène politique d’aujourd’hui en m’interrogeant sur la crise profonde dont ils sont le symptôme ou le reflet. »

La crise constitue, et pour cause, le fil reliant les pages au jour le jour (sauf samedi et dimanche !) de ce passé proche. Crise financière et crise morale imbriquées : « Si au moins, s’indigne notre chroniqueur, ces bons apôtres de la finance manifestaient l’esquisse d’un remords, d’une contrition envers ceux qu’ils ont ruinés. Mais pas un mot de repentir. Ils attendent pour recommencer d’être remis à flots par ces dociles contribuables qu’ils ont tondus comme des moutons ». Voilà le ton : sans complaisance mais sans imprécation. Deux cent quatre-vingts pages qui s’avalent en trois bouchées, ni de guimauve, ni de piment. On peut avoir les nerfs sans perdre son sang froid.

Crise morale donc, partout perceptible. « Elle touche l’essence même de notre civilisation, tout notre système de penser, de vivre, de créer. » Mais Rouart se veut observateur, non philosophe. Le constat s’égrène humblement au gré de l’actualité. Cela va, pour l’année 2008, de la poursuite de la guerre en Irak à l’autopsie de Chantal Sébire  ; du boîtier anti-jeunes Beethoven (« Pourquoi pas une bombe atomique qu’on baptiserait Mozart ? ») à la mainmise de Monsanto  : « La firme agro-alimentaire aimerait bien pouvoir nous vendre après les avoir modifiés génétiquement toutes les poires succulentes, les pommes délicieuses, les cerises savoureuses qui poussent impunément dans nos jardins sous la seule protection de la pluie et du soleil » ; de l’envahissement de la pornographie au dépérissement culturel des villes moyennes ; de la condamnation du Taser (« Toute la population, flics et gangsters compris, va être survoltée, c’est le cas de le dire ») à la nouvelle Inquisition des radars routiers. Cela devient rare, un esprit sensible qui nous rappelle l’humain au quotidien sans pérorer.

Mais un agrément de ce livre , comme du précédent, est la verve sans hargne saupoudrée dans la revue de notre personnel politique. Le jugement sur Sarkozy est mitigé. Rouart voit en lui un homme de bonnes intentions desservi par un homme d’impulsions brouillonnes : « Le candidat Sarkozy était dans la clarté, le Président règne dans le flou. Le premier rassurait, le second inquiète (…) Le paradoxe Sarkozy, c’est qu’ayant si habilement créé toutes les conditions du succès pour ses réformes, il les hypothèque par des erreurs ou carences qui tiennent à sa personnalité. »  Autour de cette figure majeure gravitent des silhouettes croquées d’une formule : Fillon et sa « placidité de menhir breton » ; Cohn-Bendit « réconcilié avec les CRS » et reçu à l’Elysée par le pourfendeur de mai 68 ; Delanoé « la petite bête qui monte » (c’était il y a un an …) ; Besancenot radouci en fausset chez Drucker : « à l’entendre, le grand soir s’est mué en veillée des chaumières » ; Lang « enfant perdu de la mitterrandie » ; Strauss-Kahn « ours débordant de sensualité polymorphe », etc.

Rouart ne cache pas ses sympathies. A gauche , il pencherait pour Ségolène Royal.. On le sent vaguement fasciné, au moins en littéraire, par celle qui tente au Zénith d’ « être à la fois Madona et Jaurès ». Il admet ses zigzag, ses incongruités (comme avec le Dalaï-Lama, « une étole blanche autour du cou, quitte à paraître aussi fumeuse qu’un bâtonnet d’encens »), mais, dit-il, « il faut admettre qu’elle porte une lumière ». Et d’ajouter comme à regret : « J’ai l’impression que l’heure de Ségolène est passée ». A droite, son genre c’est Edouard Balladur. Autorité naturelle, courtoisie parfaite, humour caustique, vaste culture, expérience : « un homme d’Etat à l’ancienne, comme on dit de la blanquette de veau » ; et ce bel oxymore (qui définit peut-être aussi l’auteur lui-même) : « un passionné de modération ».

2008, année du soupçon, dit Jean-Marie Rouart pour conclure : « Nous aurons découvert que la féerie du capitalisme, à laquelle nous avions ingénument cru, n’était qu’un mauvais conte. Et le fameux Père Noël de Wall Street, une ordure. » Gageons que l’écrivain prend en ce moment des notes sur 2009 . De quoi sera-t-elle l’année ? de quel poison pire ou de quel remède ? Une certitude : on ne trouvera pas J.-M. Rouart dans l’acquiescement, puisque s’opposer c’est être français, mais d’ « une opposition qui s’appelle la vie », c’est-à-dire toute d’exigence humaniste et jamais partisane.

Arion