Miami? Non, Paris. (Photo personnelle)
Paris, rue Marbeuf dans le 8e arrondissement, 16 heures. J’ai rendez-vous chez le médecin. Pas de ma faute, si ma gynéco a choisi d’établir son cabinet dans le quartier le plus huppé-friqué de Paname. Ma gynéco, c’est cette femme de soixante ans, dont l’œil perçant étincelle dans un visage délicieusement ridé. Elle enfonce toujours, dans son sourire de parisienne un peu cynique et souvent drôle, une longue et fine cigarette : “Vous fumez la même marque que moi”, lui ai-je dit un jour. Elle leva un sourcil derrière ses lunettes, souffla la fumée, rit rauque : “C’est du joli”.
Bref, j’avais encore un peu de temps avant mon rendez-vous avec cette étonnante lady. Je m’assied en terrasse d’un café en face du cabinet. Une vision bling-bling digne des pires heures de la campagne de Nicolas Sarkozy m’aveugle : une porte cochère violemment badigeonnée de peinture dorée. A ma gauche, un type en baskets hurle dans un téléphone à l’encontre d’un type qui arrive bientôt en 4×4, portières claquant avec une douceur ouatée de bagnole de riche. Le bruit est dans le moteur, pas dans la carrosserie. A ma droite, un énorme hommes d’affaires douteuses beugle à son tour dans son portable, avant de s’allumer un barreau de chaise, dont la puanteur vient ternir le parfum délicat de mon café à 3 euros.
Je souffre. Grandement. Je m’empare du recueil de poèmes de Maïakovski que j’ai acheté la veille.
“Je sais
qu’une femme coûte son prix.
Mais bah!
en attendant,
qu’au lieu du chic des robes de Paris
je t’habille de fumée de tabac.”
(La flûte de vertèbres, II)
Je respire mieux. Toujours aveuglée par la porte dorée, je poursuis ma lecture.
“150 000 000 est le nom de l’artisan de ce poème
Pour rythme, la balle.
Pour rime, le feu de maison en maison.”
(150 000 000)
Je me régale. L’envie me vient de tirer à boulets rouges, sur la façade rutilante en face de moi, sur les vitrines qui suintent du gras des dollars, sur les filles couleur UV en Gucci, qui squattent la terrasse en picorant une laitue allégée sans fibres.
Après mon rendez-vous médical, je fuis le quartier et m’engouffre dans le métro bondé. Un jeune boutonneux se lève pour céder sa place à une femme noire enceinte. Moche le type, et pourtant : soudain il m’apparut charmant, pour cette B-A de scout bien élevé. Je lis toujours mon Vladimir. Le boutonneux est dans mon dos. Il voit les lignes noires sur fond blanc :
“ASSEZ !
nous allons nous y mettre
si sans
nous
personne n’y pense.”
(La Quatrième Internationale).
Le boutonneux m’effleure l’épaule : “Sans indiscrétion, c’est quoi, ce que vous lisez?”. Il m’explique tout de go que ça correspond exactement à ce qu’il a en tête en ce moment. Un gros ras-le-bol général, en somme. Une bonne vraie colère populaire. Pas de quoi voter Arlette Laguillier – il me semble qu’on peut aimer Maïakovski sans voir rouge – mais tout de même. J’acquiesce.
Et maintenant
j’ai
envie d’écrire comme ça
à cause de
Maïa
kov
ski.
Vladimir Maïakosvki, A pleine voix, Anthologie poétique 1915-1930, Editions Poésie/Gallimard